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Critique de oiseaulire


Ceci est un manifeste féministe radical écrit en 1986 sous le titre "Intercourse", traduit "Coït" et paru en France début 2019.
La thèse est la suivante : tout rapport sexuel étant pénétration et appropriation du corps de l'autre, est un rapport de domination. C'est incontournable, tout coït est une intrusion donc un viol, au moins symbolique. Il y a un mot pour cela : "la baise". Andrea Dworkin en use et en abuse. Il faut dire qu'il est tout-à-fait approprié à ce qu'elle veut exprimer.
Il s'ensuit que la femme est moins humaine, moins autonome, moins entière, moins libre, moins "tout" que l'homme.
Mais je ne suis pas bien parvenue à comprendre ce qui était cause et ce qui était conséquence dans l'affaire : le féminin est-il inférieur originellement et de ce fait exposé à la violence masculine ou la violence masculine s'exerce-t-elle comme une guerre constante en vue de la prise du pouvoir ? Ou les deux à la fois ?
Andrea Dworkin prend des exemples de cette appropriation du corps de l'autre dans la littérature à travers Tolstoï (la sonate à Kreutzer), Baldwin (la chambre de Giovanni), Dracula, Tennessee Williams (la chatte sur un toit brûlant), entre autres. Ce n'est pas mal argumenté, je l'ai sentie assez en phase avec Baldwin et Tennessee Williams. Sur le plan historique, elle a laissé une place de choix à Jeanne d'Arc à qui elle a consacré des pages émouvantes.
Elle évoque aussi la féministe américaine Victoria Woodhull (1838-1927) que je ne connaissais pas et qui, en plus d'être communiste, préconisait que la femme prenne l'initiative des relations sexuelles, non pour renverser les rôles, mais pour neutraliser cet envahissement de son corps. De telles opinions devaient être difficiles à porter dans l'Amérique puritaine, mais je me console par le constat que les idées de cette pionnière n'ont pas nui à sa longévité.
Malgré la radicalité de l'auteure, je n'ai pas appris grand-chose (je ne suis quand même plus une jeunette...) mais ma conclusion est mitigée.
Pour être simple, j'ai toujours pensé que les plus costauds pouvaient être tentés d'user de violences envers les moins costauds. Donc les hommes d'user de violences à l'égard des femmes. Les lois humaines atténuent cette inégalité physique (Occident), ou la valident, voire l'amplifient (Afrique notamment). Mais, pour autant, je n'avais jamais assimilé un rapport sexuel à une intrusion. Pourtant adolescente, j'étais étonnée par l'emploi d'expressions telles que "posséder une femme", ou "enfin elle sera à moi", extrêmement fréquentes dans la littérature classique (sans parler du langage oral). Avec le temps, j'ai fini par m'y faire, mais toujours avec une pointe d'agacement. Le choix des termes n'étant jamais anodin, il semble donc qu'il y ait du vrai dans la thèse de Dworkin : les hommes chercheraient bien à s'approprier le corps des femmes et en tireraient une jouissance, au moins narcissique. De là à dire qu'ils n'en tirent QUE cela, ce serait bien aventureux, et de toute façon soumis à une infinité de paramètres individuels et culturels. Ceci étant posé, que décidons-nous ? Par ailleurs, nous abstiendrons-nous totalement de penser que les femmes peuvent se montrer possessives à l'égard du corps des hommes ? Hum.
Pour ma part je vais être modeste : l'épopée humaine est une longue histoire. Donnons-nous les moyens d'être le moins malheureux possible durant notre courte vie, utilisons toutes les occasions de bonheur à notre portée, et ne renonçons pas à l'amour. Il a bien des défauts, mais tel qu'il est, il nous est indispensable.
Pour finir, la radicalité peut être un moyen de réflexion : on discerne mieux ce qu'on grossit et l'analyse en est plus facile. Mais en pratique, où peut-elle mener sinon à la privation d'oxygène ?
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