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Critique de 5Arabella


Un bref livre composé de 29 chroniques publiées par l'auteure dans le journal Özgür Gündem, interdit de parution désormais. Malheureusement, comme beaucoup, j'ai découvert Asli Erdoğan au moment de son emprisonnement, lorsqu'elle a été victime, comme tant d'autres de la montée en puissance de la répression de la liberté d'expression en Turquie. Ces textes datent d'avant, et sont sans doute la raison, ou une des raisons des poursuites engagées contre elle, qui l'ont obligée de quitter son pays.

Ces textes sont d'une très grande force. Parce qu'évidemment, il s'agit de dénoncer, de dire tout simplement, ce qui est tu, interdit d'expression, nié, travesti. Toute la violence du pouvoir turc, contre les minorités, kurdes ou arménienne, les migrants, les femmes. Une violence qui ne date pas d'hier, qui s'inscrit dans toute une histoire. Une histoire qu'il s'agit de falsifier, de travestir, de réécrire, en salissant les victimes, en essayant de les rendre coupables. Et donc ceux, qui comme Asli Erdoğan essaient de dire le réel, de rappeler les atrocités et les responsabilités, deviennent des ennemis à abattre, d'un régime qui s'arroge le droit de bâtir un roman national qui déni la vérité des faits historiques. Mais aussi la violence de la société, qui pour un bonne part adhère au discours officiel, se l'approprie, et qui traite les autres comme des ennemis contre qui tout est permis. le propos d'Asli Erdoğan est de montrer à quel point ne pas dire, ne pas poser clairement le vrai, est source de toutes les dérives. C'est donc le but qu'elle s'est assigné, en dépit des risques. Comme inévitable et vital.

Ce qui fait la force de ces textes, c'est à la fois le fond et la forme. Il y a sans doute des écrits qui explicitent d'une manière plus construite, plus rationnelle. Mais Asli Erdoğan est en empathie, en ressenti, elle s'inclut dans la culpabilité collective turque face aux victimes, elle questionne le rapport aux choses de la société tout en étant parti prenante. C'est un positionnement éthique au sens fort, qui questionne chacun, car les mécanismes qu'elle met à nu ne sont pas propres à la Turquie.

Mais il a y aussi une écriture, qu'on peut qualifier de poétique, en raccourci sans doute, faute de mieux. Une approche un peu discursive, sensible, qui s'attache aux détails, aux ressentis, qui finalement est indissociable du propos. Ce qui est à mon sens le propre de la littérature véritable : le style, l'écriture, ne sont pas là uniquement d'une manière « esthétique », mais traduisent une sensibilité au monde, un point de vue, d'une manière authentique et non pas plaquée ou fonctionnelle.

Tout cela fait vraiment un livre bouleversant, pas forcément dans le sens de noir et désespérant, parce que le seul fait que l'auteur puisse faire le choix de cette écriture, de ces textes essentiels et périlleux, a quelque chose de réconfortant en soi. Cela renvoie à une réalité très dure et amère, imaginer ce que les hommes peuvent s'infliger à eux-mêmes ; cela est angoissant, parce que personne, nulle part n'est à l'abri, y compris en soi-même, de cette haine et violence.

Mais la première chose à faire est de tenter de traduire en mots, comme la première étape, d'une réflexion, d'un recul, d'une prise de conscience. Ce qu'Asli Erdoğan fait de manière magistrale, entre force et douceur, violence et humanité.
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