AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de lafilledepassage


♫On allait au bord de la mer
Avec mon père, ma soeur, ma mère
On regardait les autres gens
Comme ils dépensaient leur argent
Nous il fallait faire attention
Quand on avait payé le prix d'une location
Il ne nous restait pas grand-chose
Alors on regardait les bateaux
On suçait des glaces à l'eau
Les palaces, les restaurants
On ne faisait que passer d'vant♫

(Michel Jonasz – Les vacances au bord de mer)

La place, c'est celle du père, place qui sera désormais vide. Et ce vide incitera Annie, sa fille, à écrire la vie de cet homme, pour une certaine façon lui rendre hommage.

J'ai trouvé ce roman d'une violence inouïe. Je ne parle bien sûr pas de violences physiques que le père aurait infligées à sa fille, mais bien de la violence de classe que le père (et la mère aussi) a eu à subir toute sa vie, à travers le mépris de « ceux qui dominent, qui dirigent et qui écrivent dans les journaux ». Et de la violence inconsciente de la fille (je repense à la scène où elle lui offre de l'after-shave, lui qui n'a jamais pris soin de sa peau, de son corps, de lui quoi) qui choisit de renier ses origines modestes, d'abandonner ce monde qui sacralise les choses, ce monde qui compte et compare sans cesse, ce monde où le « bonheur » se définit « par rapport à», afin de se faire accepter dans le milieu bourgeois.

Annie Ernaux choisit de raconter en toute honnêteté ce monde qu'elle a quitté (ou peut-être dois-je écrire abandonner ?), tout en s'interrogeant sur son droit à raconter la vie modeste de son père, et potentiellement à en faire une création artistique. Et comment raconter des faits réels sans les trahir ? Démarche très intéressante, que certains auteurs aujourd'hui ignorent ou écartent trop rapidement, je trouve…

Ernaux ne veut pas tomber dans le piège de la fiction, mais quoi qu'elle fasse, de toute façon ce ne sera jamais « que » de la fiction. D'abord dans le choix des événements qu'elle raconte ou pas. Ensuite en insinuant une suite logique dans ces événements, suite logique qui est toujours inexistante dans nos vraies vies.

Elle prend le parti de s'en tenir aux faits, ce qui rend son écriture épurée, plate, presque scientifique, et qui laisse l'impression d'une enfance, d'une famille dépourvue de tendresse et d'émotions. Et pourtant, on trouve quand même quelques moments de tendresse, comme lorsque le père emmène sa fille à la foire aux manèges ou la conduit à l'école sur son vélo, moments si rares qu'ils n'en sont que plus émouvants, plus poignants.
Une lecture très intéressante sur les sans-voix, ceux qu'on n'entend jamais.

Et aussi, en filigrane, l'hommage tout en pudeur d'une fille à son père, au-delà des silences et des non-dits, au-delà de leurs différences et de l'impossibilité à communiquer.
Commenter  J’apprécie          455



Ont apprécié cette critique (40)voir plus




{* *}