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Critique de fuji


fuji
25 septembre 2016
A une époque où il y a de plus en plus d'auteurs (gens qui écrivent) et trop peu d'écrivains, Annie Ernaux est pour moi l'Ecrivain, celle qui a crée une oeuvre qui fait sens.
Née en 1940, elle est élevée en Normandie (Yvetot), par ses parents ouvriers devenus petits commerçants, donc de milieu modeste.
La petite Annie Duchesne va devenir agrégée de lettres et écrivain.

C'est ce parcours, la construction d'une femme, qu'Annie Ernaux dissèque en allant du personnel à l'universel, de l'intime au collectif. Une vie analysée et retranscrite manifiquement, ancrée dans son siècle, du privé au sociologique.
La meilleure définition est donnée par elle-même : «Ce qui m'importe, c'est de retrouver les mots avec lesquels je me pensais et pensais le monde autour»

Dans mémoire de fille, elle revient sur l'année de ses dix-huit ans, 1958,année éludée dans les seize livres précédents celui-ci, et qui aurait du être l'entrée d'Annie Duchesne dans sa vie de femme.
"Dans ces conditions, dois-je fondre la fille de 58 et la femme de 2014 en un « je » ? Ou, ce qui me paraît, non pas le plus juste – évaluation subjective – mais le plus aventureux, dissocier la première de la seconde par l'emploi de « elle » et de « je », pour aller le plus loin possible dans l'exposition des faits et des actes. Et le plus cruellement possible, à la manière de ceux qu'on entend derrière une porte parler de soi en disant « elle » ou « il » et à ce moment-là on a l'impression de mourir."

Ce paragraphe dit le pourquoi et le comment de cette quête, et nous montre que l'écriture d'Annie Ernaux est épurée et que cette épure n'est pas synonyme de platitude et n'est pas dénuée d'émotion.

L'été 58 est pour elle le moment de se défaire du carcan familial et social mais cette jeune fille n'a pas les codes lui facilitant l'entrée dans l'inconnu, pas, plus difficile à franchir que le geste de "libérer ses cheveux du chignon" hors du regard maternel.
Elle veut vivre une histoire d'amour, être femme.

Elle débarque comme monitrice dans la colonie de vacances comme une jeune fille qui n'a d'autre bagage que celui qu'elle s'est forgée à travers ses lectures et qui l'a éloignée de son milieu, bardée de l'orgueil d'être différente des siens.
Surprotégée par ses parents et éloignée des réalités de la vie, ils l'ont voulu différente d'eux.

Elle va la vivre cette grande aventure de la première fois avec quelqu'un de plus âgé, de plus gradé et surtout avec quelqu'un pour qui ce pas si important pour elle, n'est rien pour lui.
A partir de cet évènement "Je" déconstruit "Elle" dans ce contexte de 1958, dix ans avant la "chienlit" abhorrée par le Général. Epoque où la valeur d'une fille se résumait à "sa conduite".
Dans une sorte de candeur, impropre à la situation elle ne s'attend pas à l'opprobre qui lui tombe dessus.
En parallèle les études avec les facilités et les difficultés d'un monde où elle remarque davantage ce qu'elle ne sait pas, que de se prévaloir de ses capacités.
L'échec de ne pas être faite, dans la pratique, pour ce métier dont son père rêvait pour elle, après son succès à l'Ecole Normale, pour lui : le saint graal.
Quand on naît ou quand on est entre deux mondes? difficile d'appréhender l'impact des décisions que l'on prend.
Le chemin n'est pas tout tracé, la part d'inconnu est grande.
Trouver sa voie, donner sa voix pour une vie.
Sans cesse Annie Ernaux, avec pugnacité et maestria retrace le parcours de "Elle" en donnant du "Je".
C'est un rendez-vous, avec ses lecteurs qui aiment la retrouver et qui reconnaissent les portraits croisés du père et de la mère et de cette fille, figures familières.
Un texte qui a été en gestation tellement d'années qu'il a un écho implacable dans l'oeuvre d'Annie Ernaux.
La désobéissante Annie Duchesne est devenue Annie Ernaux l'insoumise.

@Chantal Lafon de Litteratum Amor 25 septembre 2016
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