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Critique de gouelan


« Je ne suis pas née entourée de livres… C'est dans le temps et l'espace que j'ai appris depuis l'enfance à cueillir les mots. »

Ce sont les mots de Conceiçao Evaristo, dans l'avant-propos du roman. Et cela se sent. Elle sait voir, sentir… et mettre des mots sur des émotions. Ses mots sont vivants, ils sont puissants. Avec courage et persévérance elle a réussi à sortir du sous-sol de son école, à Belo Horizonte, où l'on confinait les familles pauvres et les Noirs, comme l'on confinait les esclaves dans les cales des bateaux.

Ce livre nous conte l'histoire d'une famille, celle de Poncia.
Poncia est une petite-fille pas comme les autres ; une petite fille de la rivière, qui sait où trouver la glaise pour façonner des objets, des statuettes, comme si elle façonnait la vie entre ses doigts.
Elle porte en elle un héritage. Tout comme son grand-père, elle est le témoin d'un passé, d'un présent. À travers son regard, ses mots, ses créations, on lit la mémoire de ses ancêtres esclaves, déracinés de leur pays d'origine pour venir enrichir ici, au Brésil, les Blancs.

On entend à travers elle le chant des hommes Africains, le chant du retour, un chant joyeux, qu'ils entonnaient lorsqu'ils revenaient de la chasse ou de la pêche. Dans le présent, les hommes sont presque muets, ils semblent résignés, mais ils chantonnent encore. C'est leur façon à eux de résister, de ne pas s'avouer vaincus. Tout n'est pas éteint, il reste une étincelle, un espoir, un souvenir.

Poncia a une « vie-ailleurs » ; dans un « rêve-réalité ».
Dans ses moments d'absence, sa tête est pleine de rien, elle devient « néante » ; elle s'entoure de « ses pensées- souvenirs », dans le temps de sa mémoire, dans un « passé-présent » ; elle communie avec « l'homme-argile ».

Ce sont les mots de l'auteur. Des mots pour décrire le caractère multiple de Poncia. Elle n'a pas d'identité propre, elle ne se reconnaît pas dans son nom, il ne lui convient pas. Elle voudrait s'inventer une autre vie. Sa vie lui a été volée, à elle comme à tous les autres Noirs.

Elle pourrait s'appeler « saudade » ; « femme-étoile » ; « fille-amie ». Une fille née de la rivière, qui sait « pleurer-rire », témoin de tout, de la tristesse comme de la joie.

Celle qui porte en elle la mélancolie ; celle qui symbolise le lien ; le lien entre les siens ; un lien qui ne doit pas se rompre, pour ne pas oublier qui ils sont et d'où ils viennent.

Une rivière, de la glaise, une artiste… Une femme qui modèle la glaise, pour en faire ressortir le « saudade », pour créer un lien entre le passé-présent, pour en faire du temps- à-venir, pour inventer une nouvelle vie, un autre destin pour les Noirs. Une vie d'hommes libres, fiers et heureux, comme l'étaient leurs ancêtres venus d'Afrique.

Je remercie Paula des Editions Anacaona pour ce petit bijou aux accents poétiques. L'auteur nous emmène le long de cette « rivière-fleuve », dans ses méandres, ses tourbillons, à la rencontre de la mémoire des Afro-Brésiliens, à la rencontre du « saudade ».

C'est le deuxième livre que je reçois de cette collection Terra. Comme dans Bernarda Soledade Tigresse du Sertao de Raimundo Carrero, la présentation est sublime. Cela donne envie de découvrir d'autres romans de la littérature brésilienne dans cette collection.
Merci à Paula et aux Editions Anacoana pour cette rencontre magique.
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