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Critique de BlackKat


Si nous redécouvrons Seul dans Berlin, certainement grâce à l'adaptation ciné tout juste sortie, il faut savoir que ce roman a été publié dès 1947 en Allemagne de l'Est, seulement en 1967 en version française et… tenez-vous bien, seulement en 2009 pour la version anglaise… Les mystères du monde l'édition ont encore frappé!

C'est un roman, certes, mais basé sur certains personnages et faits réels et qui offre donc un portrait fidèle de la société berlinoise au coeur de la Seconde Guerre Mondiale.

Une petite piquouze de rappel historique s'impose avant toute chose!

Alors pour ceux qui ne sont pas portés sur le passé, on entend encore aujourd'hui que tous les allemands étaient des Hitler en puissance, d'horribles nazis fanatiques froids et sanguinaires.

N'oublions pas que le Traité de Versailles, avec le remboursement des sommes exorbitantes des dommages de la Première Guerre Mondiale, l'occupation de la Rhur, principal bassin productif de richesses, met l'Allemagne à terre, entre chômage, misère, faim et une inflation sans précédent. le peuple allemand crie famine et l'arrivée de Hitler a permis de remettre le pays sur les rails en seulement 7 ans.

N'oublions pas que Hitler accède très peu démocratiquement, dans les années 30, au pouvoir et instaure une dictature en une sorte de Blitzkrieg (guerre éclair) politique.

N'oublions pas que dès février 1933, un « décret pour la protection du peuple et de l'État » suspend toutes les libertés fondamentales et démocratiques, donnant ainsi des pouvoirs hors norme à la police. Je rappelle également que la triste Gestapo est créée dans la foulée.

N'oublions pas l'ouverture des premiers camps de concentration dès 1933 pour éradiquer toute opposition, politique entr'autres.

Cette petite mise au point réalisée, nous pouvons maintenant savourer cette lecture.

Nous sommes en Juin 1940 et la France vient de baisser les bras.
Les nazis sont en liesse.
Otto et Anna Quangel viennent tout juste d'apprendre que leur fils unique est tombé au front.
Dans le même immeuble, la famille Persicke trinque au succès… Avec le plus jeune fils arrogant et hargneux, futur cadre du Parti, et ses frères dans la SS, les parents n'en mènent pas large.
Sara Rosenthal, juive, avec son mari en prison, vit cloîtrée dans son appartement. Son ancien train de vie aisé est un lointain souvenir.
Emil Barkhausen, un petit trafiquant arriviste, ferme les yeux sur les coucheries de sa femme tant que cela rapporte, convoite les biens de la pauvre Sara.
Eno Kluge ne vaut pas mieux, coureur de jupons, joueur invétéré, ne recule devant rien, du moment que cela remplit ses poches sans lever le petit doigt.
L'ancien magistrat Fromm, ne dit rien, voit tout mais s'enferme dans sa solitude et le deuil de sa fille.
Des femmes comme Trudel Baumann, fiancée du défunt fils des Quangel, et Eva Kluge, épouse difficilement séparée de son moins que rien de mari, Eno, se battent au quotidien pour survivre dignement.
Et le commissaire Escherich, de la Gestapo, va apprendre que nul n'est à l'abri des caprices d'un supérieur…

La guerre a exacerbé ce que le régime a déjà installé: la délation est partout, la contestation est traquée et réprimée arbitrairement, la peur transpire au sein de chaque foyer, la suspicion est omniprésente et les regards fuyants, la violence se sent libre. le pays est aux mains d'un fou s'entourant de sous-fifres qui en profitent pour laisser libre cours à tous leurs bas instincts.

La vie n'est d'ordinaire pas simple mais le danger s'accentue quand Otto et Anna décident de dire la vérité à leurs concitoyens par le biais de cartes postales manuscrites disséminées dans la ville. Pas d'explosions, de meurtres, d'attentats… juste quelques cartes… et une enquête de la Gestapo… Et c'est comme un domino faisant chuter d'autres à sa suite…

J'ai lu ce roman il y a longtemps et à l'occasion de cette relecture, le coup de coeur est toujours aussi fort. Cette chronique politique et sociale est diablement addictive.

Presque tous les personnages m'ont touchée à leur manière: j'ai eu envie d'en étriper quelques uns sans procès préalable, et j'ai eu envie naïvement que certains autres s'en sortent indemnes, avec une mention spéciale pour le couple Quangel, évidemment… Leur résistance passive, leur détresse devant ce que devient le pays dont ils étaient si fiers et surtout leur souffrance devant la perte de leur enfant unique pour une cause qui n'était ni la sienne ni la leur m'ont émue. Ils ont su rester dignes et honnêtes jusqu'à la fin. Et ils sont si peu avoir les mains propres dans toute cette boue sanglante…

Le lecteur se rend compte que chaque mensonge, chaque silence, chaque parole peut bouleverser, outre sa propre existence, mais aussi le destin d'une personne que l'on ne connaît pas forcément. Nous vivons l'intimité d'une poignée d'allemands, leurs pensées les plus intimes, nous nous glissons dans leur personnage en société, nous connaissons leurs valeurs les plus profondes… et leurs actes…
Et tel un cancer sournois et violent, le lecteur ressent au plus profond de soi les conséquences d'un régime politique sur les êtres civils, les individus pris en otages. Quand l'intérêt national est une excuse à l'exercice de la folie retorse d'une poignée d'êtres immondes et détestables, de la rétorsion arbitraire, du contrôle total des vies et des âmes.

La manipulation de la misère du peuple par les politiques est encore et toujours d'actualité… Ce roman évoque une époque passée et tragique mais l'Histoire ayant une fâcheuse tendance à se répéter chez des humains à la mémoire courte ou absente, nous aurions tort de ne considérer essentiellement que le côté fictionnel de Seul dans Berlin

C'est une lecture passionnante d'une chronique sociale et politique qui rend hommage à ces allemands dont le nazisme n'était pas l'idéal, à ceux qui ont vécu dans la terreur pendant les événements, qui ont porté le poids de cette étiquette nazie et de ses conséquences bien longtemps après la fin de la guerre, tout comme les jeunes générations ont porté l'ombre de ce triste héritage…

Mais c'est aussi un message intemporel que nous ne devons pas ignorer…
Lien : http://livrenvieblackkatsblo..
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