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Critique de Tachan


On nous propose de plus en plus de projets autour de la sororité et j'avoue que chaque année, je me laisse tenter par un nouveau. Ce fut le cas avec Soeurs d'Ys ou encore avec le ciel pour conquête et Radium Girl, c'est le cas cette année après l'excellent Blanc Autour avec La marche brume, nouveau récit féministe de l'auteur, qui ajoute une petite touche fantastique des plus bienvenue en cette saison !

Projet entièrement porté par Stéphane Fert, celui-ci surprend par sa qualité, sa profondeur et sa richesse. Album épais de plus de 100 pages, entièrement en couleur, il nous offre le luxe en prime d'un cahier de croquis ajoutant 10 belles pages à l'édifice, et le tout n'est qu'un premier tome ! Au scénario, aussi bien qu'aux dessins ou aux couleurs, Stéphane Fert fait oeuvre d'artiste total sur ce travail et on l'en remercie tant on le sent engagé dans l'histoire qu'il porte.

Celle-ci nous emmène dans les confins d'un monde sombre, gagné par les ombres et les brumes, qui pourrait être le nôtre dans le futur si le fantastique l'emportait si notre cartésianisme. Des femmes, poussés par des hommes bien trop oppressants et violents, ont fait le choix de vivre reculées entre elles, en auto-suffisance, loin de leur violence pour être en paix et en harmonie avec la nature. Elles y ont développé et nourri leur art, à base de sortilèges et autres dons, mais un jour leur quotidien est bouleversé par le retour d'une d'elle avec un bébé et pas n'importe quel bébé, un bébé différent, un bébé ogre ! Prenant le parti de l'élever ensemble, elles trouveront en elle une force, une alliée de conséquence, quand les drames frapperont à nouveau, portés par les hommes, des années plus tard.

J'ai beaucoup aimé l'ambiance conte à l'ancienne qui vient se percuter avec la sororité des sorcières et ensorceleuses imaginées par notre auteur, le tout dans un contexte de dénonciation du patriarcat et des violences masculines mais pas que. Fable féministe, fable écologiste également, La Marche-Brume appelle le lecteur à écouter son coeur et non à rugir de fureur pour tout et n'importe quoi. C'est un appel à la non-violence, à l'échange, la communication, mais la lutte et la résistance aussi quand le dialogue est impossible car il ne faut pas se laisser faire !

Enrobé dans un beau récit d'aventure, une quête aussi bien personnelle qu'universelle, il nous emmène sur les chemins de ce monde connu et méconnu à la fois, reprenant des figures de nos effrayants contes d'autrefois. A la suite de Tempérance, sa tante Grisette, ses autres tantes sorcières et la douce Hélène, nous allons partir à la recherche d'une solution contre l'avancée de cette mystérieuse et dangereuse Brume qui vient perturber leur tranquille et paisible quotidien. L'ambiance est dangereuse, envoûtante et étrange. Cette Brume fascine et fait peur tout à la fois. Elle va révéler les forces et les faiblesses de chacun dans un style très poétique et sombre, grâce à une narration immersive et entraînante qui nous prend progressivement par la main pour plonger dans cet univers étrange. L'auteur glisse plein de petites références philosophiques et littéraires : l'homme est un loup pour l'homme ; la faiblesse des uns peut être la force des autres ; l'amour est une force qui permet de soulever des montagnes ; etc.

J'ai beaucoup aimé les multiples réinterprétations de l'oeuvre : la vision très libre et naturelle des sorcières ; cet amour libre ; le pays des Omis (pour parler des hommes) ; les créatures des Brumes entre loups et goules ; notre ogresse aux yeux brillants dévoreuse de courges malgré elle ; les pouvoirs parfois farfelus des sorcières. Oscillant entre humour doux et dévastateur, revendications fortes mais assénées avec doigtés et imagination inspirée, ce fut vraiment une lecture vivifiante et émouvante. le duo Tempérance-Grisette est désopilant, grinçant et touchant. Les sorcières qui viennent s'ajouter à elles les complètent bien. Je trouve juste, après un bon départ, le personnage d'Hélène un peu fade (et puis pourquoi encore un tel prénom vu toutes les connotations autour…), de même que les antagonistes qui frôlent par le ridicule et le cartoonesque alors qu'on voudrait quelque chose de plus incarnés et terribles au vu des thèmes sérieux abordés.

Graphiquement, c'est une merveille, un enchantement. Les composition de l'auteur sont résolument modernes sur ces inspirations de contes d'autrefois. Il a des cases éclatées qui virevoltent et donnent un dynamisme fou à la lecteur. C'est en même temps envoûtant grâce à une très belle palette colorimétrique aux couleurs tour à tour chatoyantes, brumeuses, enveloppantes. J'ai beaucoup ces paysages d'un autre temps, très proches de la nature, tout comme j'ai aimé la diversité des corps représentés chez ses sorcières toutes uniques et loin des codes du genre. Il y en a des petites, des grandes, des minces, des rondes, des filiformes, des pleines de courbes, des blanches, des noires, des jeunes, des vieilles, des qui ne veulent pas vieillir. C'est beau toutes ces femmes dans leur nature première ! Merci à l'auteur d'avoir cassé ce moule de perfectibilité ou de monstruosité qui les entoure de trop.

Envoûtant, enchanteur mais perfectible, le premier tome de cette aventure sororale avec ses allures de contes animés moderne, frappe en plein coeur grâce à un imaginaire frissonnant brumeux et engagé où les femmes vont à l'encontre du danger pour se défendre elles-mêmes en héroïnes du quotidien qu'elles sont ! C'est beau, c'est inspiré, c'est richement mis en scène. Vivement la suite !
Lien : https://lesblablasdetachan.w..
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