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Critique de Luniver


Enfant, j'aimais beaucoup la grammaire et l'orthographe : toujours friand de règles à appliquer, elles me valaient autant de satisfaction personnelle que de bonnes notes. Plus tard dans mes études à Bruxelles, on a moqué mon accent campagnard, puis en fréquentant des Français, j'ai réalisé que je ne parlais pas tout à fait la vraie langue, mais un dérivé un peu ringard. Je me suis donc lancé dans une quête de pureté, toujours à la recherche de nouvelles règles de syntaxe et de grammaire méconnues du grand public.

Une des premières interventions que j'ai vue sur Linguisticae concernait les « grammar nazi », ces gens sympathiques qui, sous une annonce de décès d'un réseau social, vont vous faire remarquer un mauvais emploi du subjonctif. L'argument principal était que loin de défendre la culture française, ces gens étaient surtout en quête de réussite sociale, la maîtrise de l'orthographe et de la grammaire conférant une aura de supériorité intellectuelle sur ceux qui galèrent à les apprendre. Et ça s'appliquait certainement à mon cas : valorisé par l'école, puis dévalorisé deux fois par mes origines géographiques, je cherchais certainement à reconquérir ma place. Grosse remise en question, qui m'a amené à réutiliser « septante » et « nonante » en France, même si ça me vaut à chaque fois des exclamations de surprise et des explications fastidieuses.

Car une langue, finalement, ça vit, ça change, ça se colore selon les régions, ça emprunte des trucs pratiques à d'autres langues, ça en bricole d'autres quand il faut décrire des nouveaux concepts, ça recycle des mots pour d'autres usages, et aussi, ça se simplifie. Car il faut compter avec la paresse inouïe de ses locuteurs, qui n'ont aucune envie de prononcer trois syllabes quand on ne peut en dire que deux pour faire passer le même message, ni de retenir des exceptions là où une seule règle suffit.

À travers les nombreux exemples du livre, on réalise qu'aucune des « évidences » pour nous n'en sont, et qu'à chaque règle « universelle » qu'on puisse imaginer, on trouvera un contre-exemple. À quel point aussi les langues sont politiques à l'époque des nations, et peuvent refléter les tensions et discriminations sociales, sexuelles et géographiques qui les agitent.

Au regard de toute cette variété, la situation du français actuel paraît finalement assez étrange : totalement rigide, refusant toute évolution, édictant des nouvelles règles systématiquement à l'encontre du consensus actuel (LA covid alors que la majorité de la population avait implicitement adopté le LE, choisir « acolyte des illustres » pour franciser « follower »). Avec toute l'histoire du français, on comprend difficilement pourquoi, aujourd'hui, des gens sont prêts à s'immoler sur la place publique en apprenant qu'on peut désormais écrire « ognon » sans « i » ou quand un nouveau pronom est documenté dans le dernier dictionnaire.

Avec Linguisticae, je suis donc passé d'une langue sévère, dont les règles sont descendues sur le monde telles les Tables de la Loi ramenées par Moïse, à un joyeux bordel fait de jeux linguistiques, de négociations invisibles permanentes et de flemme absolue. Et finalement, je l'aime beaucoup mieux comme ça.
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