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Critique de Grecie


Entre les deux Normands, mon cœur ne balance pas. Je préfère indéniablement Maupassant à Flaubert.

Certes, le récit de la vie de Frédéric Moreau est édifiant : il est rare de voir conter avec tant de clairvoyance l’histoire d’un homme qui passe complètement à côté de sa vie. Les occasions ont été multiples et il n’en a saisi aucune, que ce soit dans sa vie amoureuse ou professionnelle. Il erre, de désirs en ambitions, de brèves tentatives en renonciations, allant comme une girouette de tel ami à telle connaissance, de telle femme légère à telle femme de tête. Aucun projet, aucune volonté, aucune constance. Ah ! si. Son amour pour Madame Arnoux, épouse d’un bonhomme plutôt sympathique et débonnaire mais aussi infidèle et hasardeux. Frédéric ne fera que tourner autour de cette femme, qui ne sera jamais à lui. Elle était d’une nature bien plus élevée que celles des maîtresses que le jeune homme aura (encore que sa passion de la fidélité souffrante exaspère la femme du 21ème siècle que je suis – c’est beau, c’est noble, c’est admirable, toute cette vertu, mais lorsque l’homme ne la mérite pas, c’est aussi une auto-flagellation non dénuée d’orgueil).

Pour autant, donc, malgré cette femme qui le hante et qui représente la perfection dans un monde où la moralité vire de droite et de gauche sans bien savoir où est son cap, Frédéric flanche. Il cherche à pénétrer les milieux du pouvoir, dans lesquels il échoue sans beaucoup d’efforts, simplement pour avoir séduit celle qu’il fallait. Il se laisse charmer par les projets de ses amis, promet son aide, ne l’apporte finalement pas. Il fait cent projets dont aucun n’aboutit, faute d’avoir été simplement entamé. Il vit comme un parasite dans une société où les inutiles abondent, simplement parce qu’ils ont l’argent ou les relations pour se le permettre – ce qui ne les empêche pas d’avoir moult opinions sur toutes choses et d’écraser sous le mépris ceux qui ne sont pas de leur monde. (À cet égard, le personnage de Dussardier est le seul que je n’ai pas eu envie de gifler pendant ma lecture.)

C’est donc un récit qui fait sens.

Mais quelle longue, très longue lecture ! Pensez qu’il faut attendre une cinquantaine de pages avant que Frédéric n’adresse la parole à Madame Arnoux et vous aurez une idée du rythme du roman. Certes, il faut prendre son temps pour dépeindre un tableau vivant, celui de ces années 1840 précédant la Révolution de 1848 ; mais, alors, pourquoi, quelquefois, ces rattrapages rapides, telles que les années de Frédéric passées auprès de sa petite voisine, escamotées en quelques pages et qui m’ont personnellement beaucoup manqué ? Tout tourne autour de Paris et de sa société brillante, non, devrais-je dire clinquante, comme ces babioles à trois sous qui jettent des éclats sous le soleil et ne valent rien.

Et puis, il y a les discussions politiques… Imaginez-vous qu’un visiteur du futur, 22ème siècle, surgisse soudain dans une conversation traitant de la politique française. Dans ses grandes lignes, il se situerait peut-être, pourvu qu’il ait eu quelques bases historiques. Eh bien, dans l’Éducation sentimentale, le visiteur, c’est le lecteur. Et, croyez-moi, j’avais quelques fondamentaux. Mais les petits mots politiques du moment ne passent pas toujours les siècles. Flaubert n’avait peut-être pas anticipé une telle postérité.

Nullement imméritée, d’ailleurs. Le roman a un but et il le remplit. Et la fin est vraiment de toute beauté.

Mais à qui voudrait lire un écrivain normand, je conseillerais plutôt Maupassant.
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