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Critique de Tandarica


C'est un peu réducteur, mais voici le Kafka roumain, évoqué entre autres par Claudio Magris dans « Danube ». Juif, germanophone, médecin dans un hôpital bucarestois, suicidé pour, semble-t-il, une peine de coeur, Robert Flinker a vu ses oeuvres publiées à titre posthume par son frère. Un peu oublié aujourd'hui, peut-être sera-t-il redécouvert. Il faut l'espérer.
Gregor Husum est un commerçant reconnu. Un jour, il reçoit en pleine nuit la visite d’un agent de police, Osterei, qui l’informe qu’une enquête est ouverte contre lui et lui parle de son père, qui est mort depuis 12 ans. Il se souvient alors de lui, de la peur qu’il suscitait, de sa mort, qu’il est allé le voir après plusieurs semaines seulement et qu’on lui a dit à l’hôpital qu’il avait interdit les visites. Le lendemain, il rencontre Lydia, la remplaçante de sa logeuse, qui est aussi l’infirmière qui l’avait reçu il y a 12 ans et qui lui révèle que c’est en fait l’hôpital qui prescrivait l’interdiction des visites. On apprend aussi qu’après la mort de son père, il a licencié les administratifs superflus. Il se rend au magasin qui subit une perquisition d’Osterei et de son collègue Bogus, qui trouve des lettres de son frère le suppliant de lui venir en aide et le refus cinglant de Gregor. Puis son administratif, Balkin, lui révèle qu’il a été son instituteur et qu’il est venu l’observer, car il a toujours été fasciné par son côté conformiste aux prescriptions de l’institution scolaire. Il lui avoue ne pas être déçu par son comportement vis-à-vis de l’institution sociale. Ils en arrivent à parler de sa femme Martina, qu’il a abandonnée parce qu’elle était malade et malheureuse et à qui il paye une pension alimentaire. Balkin là aussi trouve son comportement conforme à la norme sociale. Gregor le quitte et découvre que ses paiements n’ont jamais été envoyés. Il retrouve Martina au fin fond de la banlieue, elle se prostitue et ne veut plus lui parler. Elle est entretenue par le gros Biermüller. Il se perd et entre dans la première maison venue : il s’agit du tribunal de première instance où siège Huzzel, qu’il a licencié et dont la fille est tombée malade alors qu’il était dans la misère, malgré ses supplications, et en est morte. On demande à Gregor de quoi il est coupable, il dit qu’il n’en sait rien, on lui dit qu’il n’a pas accompli sa mission et on le laisse partir. Il prend une calèche qui l’emmène à une maison au lieu de chez lui, puis le fait attendre, enfin le reconduit près de la gare où il veut d’abord fuir puis, après avoir écouté l’histoire d’un serveur égyptien qui a quitté son pays, croyant avoir tué l’amant de sa bien-aimée, sans pouvoir revenir, il décide de ne pas prendre le premier train. Il croise Osterei, qui lui fait signer un papier comme quoi il ignore vraiment de quoi il est coupable. Il est censé l’attendre. Il croise Lydia, qui se trouve également à la gare : c’est elle qui lui a vendu le billet, elle est payée pour l’espionner. Quand Osterei revient, il est arrêté puis détenu. Dans sa cellule, il revoit son père qui dit être détenu depuis 12 ans et accusé d’absence d’amour. Néanmoins, sur ordre de la Haute Cour, il est relâché. Il croise encore son frère dans un restaurant, puis sa mère chez une prostituée, du moins c’est ce qu’il croit, avant de rentrer chez lui. La Haute Cour est là, le juge condamne Gregor à la peine pour absence d’amour. Le journal du lendemain nous apprend qu’il s’est suicidé.
La parenté avec Kafka est évidente, l’absurde est différent, mais comparable. Néanmoins, la morale est bien plus présente. Le roman reste tout de même mystérieux en particulier du fait de l’usage du fantastique. Confronté au châtiment, l’accusé cherche à éviter la faute, qu’il connaît néanmoins. Cela étant, le tribunal est mystérieux, occulte et assez arbitraire. Ses motifs en particulier sont peu cohérents. De toute évidence, Gregor n’est pas sans amour. Le juge de la Haute cour dit lui-même qu’il aime toujours Martina, faisant ainsi preuve de la même pauvreté morale que l’accusé. De même, les policiers sont prompts à renvoyer l’accusé, voire à lui tendre des pièges, faisant ainsi preuve du même individualisme que lui. On peut interpréter de plusieurs façons : en 1944, on ne peut uniquement se conformer à la norme sociale c’est une faute de s’y tenir. C’est également une norme sociale qui condamne Gregor, qui se conforme à la même norme. La société voire l’humanité se suicident donc par individualisme, pauvreté morale, ou avidité. On peut aussi y voir une allégorie du Juif (Flinker a dû vivre caché pendant la guerre), qui fait tout pour se conformer à la norme sociale, jusqu’à se suicider lorsqu’on lui reproche de ne pas avoir fait plus (comme en se laissant conduire sans se révolter dans un camp d’extermination ?). Il y a sans doute d’autres interprétations possibles : c’est aussi mystérieux que Kafka, avec une morale clairement exprimée, au moins en apparence, mais une réalité tout aussi complexe.
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