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Critique de dase25



Un titre étrange. Mais quand on a terminé la lecture du roman d'Arnaud FRIEDMANN, L'invention d'un père, il se révèle judicieux, tout en laissant quelques questions en suspens.
Un homme s'invente père de la plus brutale des façons.
Il enlève sa fille.
« Il regarde Béatrice. Il regarde sa fille. Celle qu'il n'a pas vu naître parce qu'il a abandonné sa mère quinze jours avant l'accouchement. Celle dont il a appris l'existence et le prénom par SMS : Béatrice, 3 janvier, 5h45.
Le dernier message de Nathalie.
Il regarde sa fille, il n'éprouve rien. »
Béatrice et l'homme dont on ne saura jamais ni le nom ni le prénom trouvent refuge dans une cabane dégradée, sale, presque puante. La puanteur est affreusement présente dans ce roman. Puanteur du corps de l'homme atteint d'un cancer et qui se dégrade un peu plus chaque jour. Puanteur des couches souillées de la petite fille dont il ne sait que faire, au début de cette nouvelle et dernière vie dans une cabane, au fond d'une forêt.
Puanteur du vieux cheval qui, un jour, apparait dans la clairière et que Béatrice adopte pour ami. Elle lui donne même un nom : Bam. Comme elle paraît avoir inventé le mot papa.
« Papa ? Ce sont peut-être deux syllabes au hasard, pas vraiment papa. Il s'agenouille à côté de Béatrice, fait rouler sur la poussière le lapin en bois. Il se prend au jeu. Quand l'animal se renverse, il crie boum en gonflant les joues. Poursuit Béatrice à quatre pattes. Papa ? Elle paraît sérieuse tout à coup, douée d'un savoir d'adulte. Dans l'attente d'une explication. »
Bam n'a rien de Pégase, il fait plutôt penser à Rossinante parce qu'il est aussi décharné que l'est le cheval de Don Quichotte. Il est aussi le double de l'homme mangé par le cancer en quête de s'inventer père, comme l'Ingénieux Hidalgo, un homme à la triste figure qui chevauchait Rossinante s'inventait chevalier errant. Et l'homme du roman d'Arnaud FRIEDMANN est bien lui-même, un chevalier à la triste figure errant dans sa tête, dans ses souvenirs, dans l'espace réduit de la cabane et de ses proches alentours seulement, parce que son corps ne le porte plus. Errant dans la perspective de sa mort annoncée aussi. Il ne lui reste plus que quelques jours pour inventer une histoire avec sa fille, lui transmettre son passé, lui fabriquer un futur dans lequel il sera présent bien que mort.
S'il s'invente père, l'homme invente aussi un conte pour sa fille et pour lui, avec Bam qui cette fois, serait Pégase. Un conte qui parle de fuite vers la lumière mais qui laisse présager le pire.
« D'abord on montera sur le dos du cheval. D'un bond. Ses jambes seront puissantes, les muscles durs comme l'acier, souples malgré tout. […] Au fur et à mesure qu'on avancera, le soleil sera de plus en plus brillant, de plus en plus haut vers le ciel. La forêt sera éclaboussée de lumière. […] Plus loin encore, il y aura des champs aux couleurs de l'été éternel. […] On sera ensemble pour l'éternité. »
L'homme, le père, change les couches de la petite fille, la nourrit tant bien que mal et pas si mal que ça, il lui apprend à tenir une petite cuillère, il lui montre les étoiles. Il veut remplir de menus événements, dont certains très poétiques, ce vide à venir. Pour elle ? Pour lui ? Il lui écrit aussi des lettres. Et lorsque le doute vient sur la réalité de cette histoire, un court chapitre ‒ ils le sont tous, et percutants ‒ montre Béatrice lire une lettre de son père à l'occasion de ses trente-trois ans. Mais n'est-ce pas un nouveau leurre que s'est fabriqué l'homme ? Et que fabrique Arnaud FRIEDMANN pour ses lectrices et pour ses lecteurs ?
Un opinel, dans le récit, sème trouble et angoisse.
[…] Je ne suis pas convaincant. Je ne cherche pas à l'être. J'avais le couteau avec moi. Je n'avais pas prévu de m'en servir. Cela, je te le jure. »
L'homme a-t-il tué Nathalie qu'il a pourtant aimée, déjà comme un fantôme entrevu dans une fenêtre, ‒ « Lorsque j'ai rencontré ta mère, je l'ai prise pour un fantôme. […] J'ai aperçu une silhouette enroulée dans un drap qui paraissait glisser dans la pièce. » ‒ puis qu'il a aimée comme une femme bien réelle avec qui il a eu une petite fille ? Celle qu'il lui a enlevée.
L'homme va-t-il planter l'opinel dans le coeur de l'enfant, de la même façon qu'une écharde s'est plantée dans son pied de père, dans la cabane ?
Pourquoi se réfugier dans cette cabane en ruine, enfouie dans une forêt dans laquelle rôdent des animaux dont il ne sait pas s'ils sont ou non hostiles, plutôt que d'entamer une sorte de road-movie ? Parce que cette cabane fait partie de la nostalgie de son enfance, ce qui donne lieu dans ce récit sombre à des éclaircies poétiques.
Peut-être parce que la forêt, avec ses bruits, ses murmures, ses frôlements, ses lumières qu'il essaie de décrypter, est un retour dans le ventre maternel, un bercement dans le liquide amniotique.
Arrivée au bout du récit avec l'homme qui « est dans la clairière. Il ne sait plus s'il avance. S'il est déjà tombé. Si ce qu'il perçoit est encore ce que perçoivent les vivants. », moi lectrice, je me suis aperçue que comme Béatrice, telle que son père la raconte, pas un instant je n'ai douté de la légitimité de cet acte violent.
« Une quinte de toux le plie en deux : il vomit sur le seuil de la porte. le bruit réveille Béatrice, qui pleure. Il retourne vers elle, stupéfait qu'elle ne hurle pas en le voyant approcher. Que le visage hagard qui se penche vers elle, la bouche suintant de bile ne lui procurent ni terreur ni dégoût. Au contraire ses pleurs s'interrompent ; elle paraît attendre qu'il la prenne dans ses bras. Se pourrait-il qu'elle ait compris qu'il était son père ? Qu'elle l'accepte et le console inconditionnellement ? »
Enlever une petite fille, l'enlever à sa mère, est un acte fondamentalement violent. Une mère qui n'existe pour l'homme que comme une femme de son passé, à qui il a ôté la possibilité de continuer à s'inventer mère.
Et là réside un des talents d'Arnaud Friedmann. Conduire ses lectrices et ses lecteurs en eaux troubles, tout en douceur. En effet, si L'invention d'un père, est un roman très noir, troublant et dérangeant, il est enrobé d'une infinie tendresse.

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