AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de boudicca


Créé dans les années 1990 par Mathieu Gaborit et Guillaume Vincent, l'univers d'« Ecryme » a progressivement dépassé le cadre du jeu de rôle pour s'inviter dans le milieu littéraire. Vingt ans après la parution des « Rives d'Antipolie » et de « Revolutsya » (regroupés dans une intégrale intitulée « Bohême »), voilà que Mathieu Gaborit se replonge dans ce monde de brume et de métal aux côtés de la fine fleur des auteurs de chez Mnémos. La plupart des textes n'excèdent pas une quinzaine de pages et nous dévoilent, chacun à leur manière, une des nombreuses facettes de cet univers pour le moins foisonnant. Baignant dans une esthétique steampunk, le monde dépeint se divise en plusieurs villes indépendantes coupées les unes des autres par un océan de brume corrosive aux propriétés étranges et parfois mal connues : l'écryme. le seul moyen de passer d'une cité à l'autre consiste à emprunter la voie des airs ou celle des Traverses, gigantesque réseau ferroviaire reliant les principaux foyers de population. Ce sont ces dirigeables, relais de poste et autres chemins de fer qui ont retenu l'attention de quelques uns des auteurs qui nous invitent à arpenter les routes aux côtés de personnages plus ou moins recommandables. D'autres préfèrent se concentrer sur la nature même de l'écryme, substance tour à tour terrifiante ou merveilleuse, repoussante ou attirante. Certains, enfin, mettent en scène des êtres aux pouvoirs étranges (céphales capables de modeler l'écryme ou moines de l'ordre de glace), tandis que d'autres leur préfèrent de simples humains appartenant à toutes les catégories sociales possibles : orphelin miséreux, voleur, ouvrier, enquêteur, érudit, puissant, hors-la-loi...

Vous l'aurez compris, ce qui caractérise avant tout ces « contes d'écryme », c'est leur diversité. L'intérêt que l'on porte à cette succession de portraits varie cela dit énormément d'une nouvelle à l'autre, certaines se révélant trop brèves pour suffisamment titiller la curiosité du lecteur ou bien trop opaques pour que les néophytes puissent véritablement en saisir les enjeux. Parmi les textes qui valent le détour, on peut d'abord citer celui de Tristan Lhomme qui nous invite à découvrir les témoignages recueillis par des enquêteurs après un meurtre perpétré dans un relais de poste isolé (« Témoignages gravés sur un disque anonyme »). Nicolas le Breton et Arnaud Gaugain préfèrent pour leur part la voie des airs : le premier retrace la naissance d'un vaisseau et d'un capitaine de légende redoutés de tous les voyageurs naviguant sur l'écryme (« La chute du Maître des Vents ») ; le second nous fait part du rêve de liberté d'un ouvrier travaillant sur les chantiers éoliens... et du triste sort qui l'attend (« Rêves de métal »). Raphaël Granier de Cassagnac réussit lui aussi son coup avec son « Fabuleux voyage urbatechnologique », la nouvelle la plus longue du recueil mais aussi l'une des plus captivantes car plus ambitieuse au niveau de l'intrigue et plus variée au niveau des décors. Les « Fleurs d'écryme » de Charlotte Bousquet sont également plaisantes et nous permettent d'appréhender cette brume mystérieuse et mortelle d'une toute autre manière. Enfin, sur les sept textes que signe ici Mathieu Gaborit, c'est « L'obus délibéré » qui tire son épingle du jeu, moins en raison de ce qu'il nous révèle de l'univers que grâce à la beauté de la plume de l'auteur.

S'ils ne m'ont pas autant enthousiasmé que ceux précédemment cités, d'autres textes valent quand même le détour. Malgré une fin abrupte et sibylline, la nouvelle de Samuel Metzener (« Au marché ») se base sur un élément intriguant : une sorte de foire aux orphelins au cours de laquelle les enfants doivent rivaliser d'inventivité pour réussir à se faire adopter. Chez Fabien Clavel c'est un peu l'inverse : le corps de la nouvelle est certes intéressant mais c'est surtout sa chute qui marque le lecteur et l'invite à la relire sous un angle totalement différent (« Rêve d'Iskandra »). Estelle Faye opte pour sa part pour un drame familial et parvient comme toujours à donner vie à des personnages qui suscitent sans mal la sympathie du lecteur en dépit d'une fin assez prévisible (« Nina »). « Le meurtrier masqué » de Raphaël Albert fait quant à lui naître plus d'inquiétude que d'affection, même si on ne manque pas de compatir au calvaire infligé à ce plongeur d'écryme. Même sentiment d'angoisse avec « Le domaine de ineffable » d'Alexandre Clavel qui signe là un récit court mais percutant dont la chute ne laisse pas non plus indifférente. Les autres textes sont à mon sens un peu moins évidents à appréhender si l'on a pas une certaine connaissance de l'univers et de ses spécificités (je pense notamment aux deux récits chargés d'ouvrir et de clôturer l'anthologie). La carte présente en début d'ouvrage et le (long) glossaire qui le conclut témoignent d'ailleurs de la richesse de ce monde d'écryme dans lequel on ne se plonge pas sans quelques efforts.

Avec ces « Contes d'écryme », Mathieu Gaborit et les onze auteurs qui l'accompagnent reviennent à l'univers de « Bohème » et du jeu de rôle « Ecryme » pour nous en dévoiler différentes facettes (la plupart empreintes de noirceur). Si le niveau varie d'une nouvelle à l'autre, l'ensemble reste malgré tout de bonne facture et constitue un bon moyen de prolonger la découverte de ce monde inquiétant mais curieusement envoûtant. Pour ce qui est de faire connaissance avec l'univers je ne suis en revanche pas certaine qu'il s'agisse du meilleur ouvrage par lequel débuter...
Commenter  J’apprécie          170



Ont apprécié cette critique (17)voir plus




{* *}