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Critique de blaisejoinlambert


Jacques Galan est illustrateur de livres pour enfants – la série animalière Timoléon c'est lui ; Pat et Chou c'est encore lui. Comme autre terrain de jeu (ou comme gagne-pain) il a par la suite exploré le domaine du dessin animé ; plus récemment la peinture, une peinture aux lisières de l'abstraction et de la figuration. En projet une bande dessinée, Jubiloland, une joyeuse communauté.

Jacques Galan écrit depuis déjà un certain temps : des romans – le plus récent, Les Baladins, est paru en 2016. Il est aussi l'auteur d'un recueil de poésies : le chemin de traverse, paru en 1996.

Bref ! Une activité somme toute très diversifiée mais qui a sa cohérence. Puisque l'art de l'illustration par quoi il a débuté sa carrière est un genre mixte, dialoguant plus ou moins étroitement avec le texte ; et c'est particulièrement vrai à mon sens de la littérature enfantine.

L'inspiration onirique semble irriguer l'ensemble de sa production en textes et en images, que celle-ci soit à destination d'un public jeune ou mature.

Venons-en au livre proprement dit.

Qiqumajuq est une pièce onirique, légèrement teintée d'humour, qui campe deux personnages très contrastés mais qui se rejoignent : faute de pouvoir satisfaire leurs désirs dans la réalité, ils les réalisent par le biais de leurs rêves et de leurs fantaisies.

« Fantaisie », je retiens ce mot. C'est le maître-mot. Parce que la fantaisie dans son acception forte, non galvaudée, ce n'est pas de faire ce qui vous passe par la tête ; c'est la faculté de produire des images librement et sans être contraint par la réalité ; c'est, dit autrement, l'imagination créatrice. (J'ai d'ailleurs lu ce texte comme une fable qui porterait sur la création artistique.)

Jacques Galan est un faiseur d'images. Et comme ses images qui sont parlantes, son écriture possède la force évocatrice des tableaux, qu'il déploie avec art devant nous, spectateurs.

Donc je l'ai dit l'histoire dépeint deux personnages ou quatre protagonistes : Aurélie, jeune artiste peintre, qui vit et travaille seule dans son atelier ; Monsieur Roreil, son voisin, qui du fait de l'âge, ne voit plus grand monde. Et deux autres intervenants : Trompette le cheval de bois ainsi qu'un pantin-soldat, le Seigneur de Gandelu. On pourrait ajouter, c'est ma tentation, le double spectral d'Aurélie, la « reine Qiqumajuq », la « morte de froid », la « reine des neiges » (ici je soupçonne, dans la composition de ce personnage dans le personnage, une possible allusion à Andersen et des réminiscences claudéliennes, le Claudel des Cinq grandes odes.)

Je dois avouer que j'ai été drôlement séduit par cette idée d'intégrer à l'histoire des personnages qui ne sont pas des humains, qui ne sont pas des acteurs – qui ne parlent pas, ne bougent pas, ne galopent pas. – Mais on parle pour eux, ils ont une vie riche et mobile dans la conscience et l'imagination de celle qui les anime et leur fait jouer ses petites saynètes.

Le désir est moteur ; un désir multi-dimensionnel. Désir de Roreil pour une jeune actrice, qui ne l'est plus, jeune. – Mais il a su la préserver intacte et fraîche dans sa mémoire, lorsqu'il la regardait évoluer sur scène. Qu'aimait-il en elle ? La femme ou plutôt l'artiste ? Aurélie, c'est son privilège en tant qu'artiste justement, poursuit à sa façon ses jeux d'enfants ; elle prend plaisir même à s'en ressouvenir, tout en les enrichissant d'un aspect nouveau – érotique. Elle nous offre le spectacle de sa féminité débordante et comme inquiétante ; en lien étroitement avec la mort.

Qiqumajuq, ce n'est pas un récit d'action, même psychologisante, avec son intrigue et ses épisodes bien ordonnés ; mais quelque chose à lieu de plus immédiat, de plus essentiel même dans l'espace du rêve. En ce sens le spectateur s'éprouve libre, il n'est pas enchaîné à la linéarité implacable des narrations habituelles, il suit avec délices les divagations empruntées par l'auteur, leur apparent désordre si bien concerté.
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