AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de jongorenard


Intéressant à certains égards et décevant à d'autres, telle est l'impression nuancée qui se dégage de ma lecture de "La promesse", le dernier livre de Damon Galgut.
Tout d'abord, l'histoire racontée quoique intelligemment construite est plutôt prévisible du fait de la structure cyclique du récit. Après le premier chapitre et en me référant au sommaire, j'ai vite imaginé sans trop me tromper le contenu général des autres parties du livre, ne restait et c'est dommage, qu'à découvrir le comment. L'histoire qui s'étend sur plusieurs décennies est racontée en quatre chapitres tous basés sur l'enterrement d'un membre de la famille et séparés par d'importantes ellipses temporelles. Chaque chapitre commence par les circonstances du décès, chacun présente les conflits religieux entre les membres de la famille, chacun présente une tentative de réaliser une promesse, chacun se déroule à une saison différente et coïncide avec un moment important de l'histoire récente sud-africaine. J'ai trouvé cette construction à la fois intelligente et artificielle, car il m'a semblé que les événements culturels et politiques de l'Afrique du Sud étaient plus superposés à l'intrigue que subtilement tissés à l'histoire. J'y ai vu la volonté de l'auteur de faire correspondre à tout prix son récit familial avec celui de la nation (décomposition, révélation, réconciliation), mais l'analogie m'a paru exagérée.
D'autre part, du fait des longues ellipses temporelles entre les chapitres, les personnages m'ont semblé manquer d'incarnation, de profondeur. On les fréquente pendant un chapitre, on se familiarise avec eux en découvrant leur personnalité, puis après les avoir délaissés pendant une dizaine d'années, on les retrouve forcément changés sans que l'on comprenne bien pourquoi. Ils se sont dilués dans le temps et je ne me suis guère senti proche d'eux émotionnellement. Aucun d'eux ne m'a particulièrement intéressé, aucun d'eux n'a reçu mon soutien, à l'exception peut-être d'Amor, mais je n'ai pas toujours bien compris ses motivations.
Damon Galgut examine la désintégration de cette famille sud-africaine blanche privilégiée, descendante des Voortrekkers et vivant dans une ferme autour de Pretoria. le coeur moral de l'histoire est le suivant : Amor entend sa mère mourante, Rachel, obtenir de son père la promesse de donner à Salomé, la domestique noire, la baraque dans laquelle elle vit. Mais ni Manie, le père, ni Anton, le fils troublé, ni Astrid, la soeur aînée d'Amor, ne parviennent à tenir cette promesse qui fait écho à celle de la naissance de la nation sud-africaine « arc-en-ciel » mise à mal par la cupidité, la corruption et la violence. Les voix des enfants représentent différents points de vue blancs sur la question, de l'opposition véhémente (Astrid) à l'acquiescement passif (Anton), en passant par la réparation et la clarification (Amor).
Ce que j'ai apprécié dans ce roman, c'est son style d'une fluidité impressionnante qui se faufile avec art entre les différentes perspectives, navigue rapidement entre différentes scènes et change fréquemment de point de vue. Au début, cela m'a un peu dérouté, car les changements de point de vue sont si rapides qu'il faut parfois être très attentif pour suivre le récit, mais cela est vite devenu stimulant. Galgut utilise un narrateur omniscient à la troisième personne qui passe d'un personnage à l'autre, nous donnant même parfois le point de vue d'animaux ou d'un cadavre. La voix narrative oscille également entre la première, la deuxième et la troisième personne du singulier, interpelant parfois le lecteur ou s'adressant aux autres personnages, soulignant le fait que cette histoire est fictive, signalant d'éventuelles incohérences ou se demandant si les événements se sont réellement déroulés comme ils sont décrits. La question de l'identité du narrateur devient de plus en plus prégnante. Il peut s'agir d'une âme errante, d'un fantôme, voire d'une figure divine. La religion est un thème sous-jacent important dans chaque chapitre, car les personnages se tournent vers différentes confessions ou croyances spirituelles. Ainsi, un rabbin, un pasteur, un prêtre et même un professeur de yoga « New Age » jouent des rôles cruciaux.
Cependant, l'apparente liberté de ce récit à vagabonder où bon lui semble est trompeuse. Au fur et à mesure que l'histoire progresse, apparaissent avec une régularité déconcertante la présumée supériorité et l'odieux racisme désinvolte des membres de la famille. Il est par exemple écrit à propos des domestiques noires qu'« il faut [se] débarrasser d'eux avant qu'ils conspirent. » Ainsi, nous parvenons à comprendre la véritable crise d'un pays où la ségrégation légale a peut-être pris fin, mais où le fossé tragique entre deux groupes de personnes demeure.
Je n'aurais probablement pas lu ce roman s'il n'avait pas reçu le prix Booker 2021. J'en avais entendu parler, mais pour être honnête, l'histoire ne m'a pas vraiment captivé et les personnages guère intéressés. Je dois admettre cependant que le livre est bien écrit avec une narration originale, j'ai appris des choses sur un pays instable qui a subi des changements radicaux en peu de temps, mais ce n'était pas la puissante saga familiale à laquelle je m'attendais.
Commenter  J’apprécie          50



Ont apprécié cette critique (4)voir plus




{* *}