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Critique de Apoapo


[Prologue. L'une des caractéristiques de ce qu'on appelle les classiques, surtout anciens, c'est d'être accompagnés d'un appareil critique aussi surdimensionné qu'érudit. Je ferais bien de m'en tenir à un aphorisme que j'avais lu il y a plusieurs décennies et que je cite donc très approximativement, de mémoire : « La préface est ce qui est écrit après le texte, imprimé avant, et ne devrait être lu ni avant ni après ». Je tombe pourtant toujours dans le piège, je lis, me sens passablement ignare et cependant je me trouve en désaccord avec beaucoup... À bon entendeur, salut !]

Voici une satire misogyne qui date sans doute de la première moitié du XVe siècle, impossible à attribuer. Ce n'est pas un recueil de quinze nouvelles ; en effet, tout semble indiquer que les personnages principaux, le mari et la femme, sont uns, sinon identiques, des variantes d'eux-mêmes, ainsi qu'unique est leur identification sociologique : la maison est dotée de plusieurs domestiques, le mari n'a d'autre occupation que la gestion de son patrimoine et propriétés même éloignées de son domicile, il est un gentilhomme qui peut être appelé à guerroyer occasionnellement, il est caractérisé par la mansuétude et l'effacement ; la dame reçoit beaucoup, chez elle la « viande » (= nourriture) et le vin abondent, sauf pour le mari et ses invités, elle est passionnée de toilettes à la mode et de parures de joyaux à exhiber à l'église et aux nombreuses « festes », elle est souvent bien plus jeune et issue d'une famille de rang plus élevé que son mari, elle voyage beaucoup sous forme de pèlerinage – toute occasion étant bonne pour ces vacances en famille élargie... –, dans son langage Dieu, les serments et naturellement les parjures tiennent lieu de prise de souffle, et surtout elle n'a de trêve d'ourdir des machinations afin de consommer l'adultère. Présence obsessionnelle des amants.
Hormis dans les premiers chapitres, le récit n'est cependant pas construit selon une progression chronologique systématique. À ce sujet, je voudrais donc faire usage d'une métaphore musicale, et appeler ce recueil une « Suite de variations » sur un thème : la métaphore du mariage conçu comme une nasse, à l'intérieur de laquelle les hommes-poissons, après y avoir nagé autour, s'efforcent de se laissent emprisonner, et se persuadent, faute d'en pouvoir sortir, que leur situation est enviable, alors qu'ils vivront au moins certaines d' « ycelles joyes » dans cette captivité où ils « demourront tousjours et finirons miserablement leurs jours » : excipit de chaque chapitre.
La satire se base donc sur l'antiphrase, et ce à différents niveaux : par « joye » (l'intitulé de chaque chapitre), il faut comprendre « malheur » du mari, par apologie des femmes – auxquelles l'ouvrage est dédié – l'éloge de leur perfidie, et surtout, du point de vue stylistique-littéraire, je suppose que l'ouvrage tourne parfaitement en dérision le genre nommé Exemplum, qui avait une vocation moralisatrice : pourtant il ne s'agit pas que de contre-exemples ou de subversion de la morale du mariage, contrairement à ce que l'on a pu doctement suggérer, pas plus que le récit ne vise à l'exhaustivité par rapport au sujet traité : il s'agit juste de faire rire, avec intelligence. D'où la question de savoir s'il est ironique, ou parodique, ou satirique ou polémique paraît complètement oiseuse, car l'effet demeure : les siècles ne l'ont en rien diminué. J'en retiens au contraire, outre la jubilation, la certitude que les clichés misogynes sont bien demeurés inchangés, que les mêmes procédés stylistiques produisent les mêmes effets comiques, que les modes de vie (d'une certaine classe sociale) n'ont au fond pas tellement changé (sauf qu'en moyenne on travaillait moins et s'esbatoit plus !)...

La traduction en français moderne est à front du texte d'origine, par ailleurs presque toujours transparent. Ainsi, j'ai pu constater que les problèmes (ou les défauts) de la traduction franco-française sont identiques à ceux qu'on essaie d'éviter, à grand peine, depuis les autres langues : trop de mots, trop d'explications, un souci d'explicitation qui, en ôtant les aspérités et diluant ce qui était concis à l'extrême, mène à la platitude. On trouve aussi, inversement, des cas de surclassement du registre linguistique, ou de rajouts d'expressions proverbiales (modernes donc anachroniques). Dans tous les cas, le rythme change, la mélodie devient tube.


Les quatre cit. qui suivent ont ainsi été choisies autant pour leur goût intrinsèque que pour exemplifier ces problèmes traductologiques :
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