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Critique de irisrivaldi


Les gens de lettres, comme on a coutume de les nommer, ont la réputation d'aimer les chats. À l'évocation de ces affinités, je visualise aussitôt l'image d'un matou alangui sur des notes et des feuillets dispersés sur une table de travail. Comme une sorte de conjuration à la page blanche, nombre de chats d'écrivains ont en commun cette attitude indolente.
C'est tout naturellement que ce livre paru en 1964 « Orgueil de la maison » de Gilbert Ganne, qui est né en 1919, a trouvé chez moi une incroyable résonance. Au-delà des générations, la passion que l'auteur porte à ces félidés fait écho à la mienne.
Les chats incarnent à ses yeux « une conception de la vie, une éthique et une esthétique. » Bref ces animaux merveilleux illustrent un style de vie. Selon lui, le propre du chat, c'est que « l'affection ou l'aversion que l'on a pour lui nous permet d'évoquer tous les problèmes. » Et de fait, l'éloge des chats le pousse à la confession au travers de textes très personnels, voire intimes, mais toujours empreints d'une acuité saisissante sur les événements de son temps ; pour une remise en perspective Gilbert Ganne a 26 ans au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. Rétrospectivement et dans pareil contexte, il est aisé de se figurer quelles conclusions définitives un jeune homme a pu tirer de la société humaine ; d'autant qu'il reconnaît, depuis le plus jeune âge, n'avoir jamais brillé par ses qualités de sociabilité : « Ce qui m'a rapproché des chats, c'est le sentiment d'être rejeté de tous. »
Gilbert Ganne s'insurge contre les offenses et les humiliations que les chats subissent de la part d'êtres qui, selon lui, leur sont tragiquement « inférieurs » et qui peuvent s'apparenter aux avanies que lui-même a subies. Inutile de dire qu'il porte les chats en telle estime au point de les préférer aux humains tant le monde est vaste et ses bassesses innombrables. Il clame : « À part quelques être qui nous touchent, l'humanité ne nous est-elle pas foncièrement étrangère ? Chacun de nous est une île vierge dans un archipel infini. » Et assène encore : « Je tiens à l'amitié de mes chats plus qu'à celle de la plupart des hommes. »
Au fil des pages, les chats lui servent alors d'alibi pour se raconter et sa plume mélancolique s'habille donc de misanthropie : « le chat va d'instinct aux plus belles choses, 99 pour cent des hommes vont aux choses les plus viles… Lorsque sa distinction sera appréciée de tous, lorsqu'on mettra autour de lui les plus belles fleurs, le cristal et les parfums rares, alors je croirai à la civilisation. »
Par ses points de vue très tranchés, l'auteur se fait clairvoyant, quasi visionnaire et j'ai trouvé les mots suivants d'une triste et troublante modernité puisqu'en 2020 ceux-ci sont hélas toujours d'actualité : « L'insensibilité à l'égard des animaux est liée aux tendances actuelles qui s'orientent vers le grégarisme et le mépris des individus. » Tout comme la considération : « les craintes qu'inspire maintenant l'avenir, la méfiance envers les tendances du monde actuel et ses possibilités inégalées d'abrutissement collectif » n'est pas sans rappeler les gloses de nos intellectuels affirmant que la bêtise virtuelle est tout compte fait devenue la nouvelle intelligence. de quoi réfléchir à deux fois avant de tenir un blog ou d'ouvrir un compte sur les réseaux sociaux !
Côté style de vie, pour Gilbert Ganne, les chats reflètent les qualités que celui-ci vénère : fierté, indépendance, élégance… L'aristocratie faite chair en somme. À toutes ces vertus, ces animaux-là, qui n'ont de bêtes que le nom, ont aussi un sens inné de l'esthétique. Sur un portrait photographique de mon édition de 1969, Gilbert Ganne porte la prunelle sombre et le regard pénétrant. de là à dire qu'on a affaire à un homme-chat, le raccourci paraît facile mais néanmoins évident et j'aime d'ailleurs croire que l'auteur lui-même n'aurait pas désapprouvé la comparaison. Relevons pêle-mêle de savoureux passages :« Je me retrouve dans leur détachement. Lorsque la fébrilité s'empare de mon entourage et que les violences se déchaînent, je me sens pleinement accordé à l'indifférence, au dédain souverain de mon chat. » L'auteur loue aussi la façon qu'ont les chats de « dominer l'événement, de se désintéresser des agitations médiocres » ce qui témoigne chez eux « d'une supériorité qui, si elle n'est pas consciente, n'en est pas moins manifeste. »
Idéaliste il peut aussi exprimer : « Je rêve quelquefois d'une fraternité universelle qui aurait, pour véhicule et pour lien, l'amour des chats. » Je like !
Lien : http://scambiculturali.over-..
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