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Critique de Kirzy


°°° Rentrée littéraire 2023 # 5°°°

Isabelle Garreau croise les lieux, les époques et destins de trois héroïnes. Aléa ouvre le bal avec ses deux chapitres, guérisseuse anachorète du VIIIème en Neustrie, confrontée à un raid de Vikings. Puis on fait la connaissance d'Eléonore, le coeur du roman, adolescente bouillonnante des années 1980 qui subit le corsetage mental de ses parents catholiques quasi intégristes alors qu'elle ne rêve que de vivre pleinement. Et enfin, c'est au tour de Mksheta s'entrer dans la danse, conteuse enfermée dans le harem d'un sultan perse.
Trois marginales évoluant à l'écart des injonctions à être femme de leur temps.

Le fil conducteur de l'intrigue est un objet, une relique convoitée par les hommes pour les pouvoirs magiques qui lui sont attribués ou pour sa valeur pécuniaire : une dent prise dans l'ambre dont on découvrira l'origine et l'incroyable voyage spatio-temporel. Cette dent dure symbolise les épreuves à surmonter pour survivre et accéder à ses droits, pour jouir de sa liberté et briser le cycle ancestral du patriarcat et de la religion. Comme « un message d'une femme à une autre glissé dans les failles du temps »

La Dent dure doit se lire comme un conte, cruel avec ses épisodes violents, d'autres excessifs ( notamment dans ses personnages masculins ) et avec son humour caustique. Un conte féministe surtout, très original car construit comme une réécriture malicieuse de la vie de saintes – fictives – soeurs d'infortune incarnant une féminité plurielle, devenues saintes par la force d'une histoire officielle écrite par les hommes pour mieux contrôler leurs paroles et leur corps, alors que leur vie respective semble très éloignée des canons habituels de la sainteté.

Isabelle Garreau est une vraie conteuse. Sa narration est percutante, très rythmée, portée par une remarquable qualité d'écriture, gourmande en mots rares, précise et imagée, qui se déploie pour montrer à quel point la force de la nature s'allie au féminin sacré dans cette quête éternelle de liberté, fond et forme en symbiose absolue.

« Elle ne tuait pas, ne cuisait pas, se refusait même à faire du feu non seulement pour préserver le secret de son refuge, mais encore pour abolir toute entreprise de domination sur le monde extérieur. Elle ne serait pas complice. Pas d'autre choix que sa solitude sauvage. Sur le seuil, le pied dans la rosée, elle composait des chants pour les arbres, les insectes et les écureuils, pour la berge où roucoulaient les poules d'eau, et pour le héron, seigneur cendré à l'oeil perçant. 
Sans le savoir, elle était revenue sur le lieu même de l'ermitage d'Aléa, posant son pas dans le sien. L'Histoire bégayait, les circonvolutions des destinées formaient un labyrinthe, toujours dans la même nuit. Entre le feuilleté des corps péris se tenait embusqué le sens de ces vies qu'on disait humaines.
Le soir elle contemplait le couchant à travers son oeil d'ambre. La dent, pensa-t-elle, avait pris la forme de son destin. Et elle-même s'était faite morsure pour arracher ce lambeau de fierté et de sérénité qu'était devenue sa vie au creux de la terre. »

Le poème final est très beau, très fort, tout comme la couverture mystico-pop conçue par Rémy Tricot ( qui travaille entre autres pour les éditions Dalva et La Manufacture de livres ). Un premier roman émancipateur plein d'énergie et de ferveur.

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