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Critique de hcdahlem


Débarquer sur l'île des femmes

Le premier roman de Juliette Garrigue, l'histoire d'une île tenue par des femmes, peut se lire comme un conte philosophique, un essai féministe, une tragédie grecque ou une fable écologique, le tout servi par une plume limpide.

Charlotte est missionnée sur l'île de Matria afin de réparer les machines en panne. Si elle a accepté de faire le voyage, c'est qu'elle vient de se séparer et qu'elle a perdu son grand-père, sa seule famille. Autant dire qu'elle avait bien besoin de se changer les idées. Sur Matria, elle est servie. Car ce coin de terre, ancien pénitencier, est devenu l'île des femmes qui jouissent ici d'un statut particulier. À la tête de ce microcosme, Marianne est tout à la fois la mémoire de ce lieu, la cheffe et la responsable des relations publiques qui vend son petit paradis avec lyrisme: «Matria est une planète vivante. Son pouls bat là, sous tes pieds, à chaque pas; on soulève les croûtes et la poussière qu'il faut savoir fouler sans la blesser. Elle est dans la pierre, dans les cailloux, dans le sable, dans les branches, dans les herbes, dans l'eau, le sel, mais aussi, en une pleine réciprocité, dans les pores de ma peau, dans les racines de mes cheveux; elle est dans mon ventre, elle prend les chemins de mes veines, campe mon coeur, résonne dans mon sexe.»
À la veille de quitter l'île, une forte tempête oblige Charlotte à prolonger son séjour et à constater combien la solidarité entre les habitantes est forte. Ajoutée à la somme de travail qui l'attend, elle va finir par se convaincre que sa place est bien là et se promet de revenir s'installer sur l'île.
C'est alors qu'elle croise Fabrizio, le frère jumeau de Marianne. Après avoir bourlingué vingt ans loin de Matria, le voilà de retour. Sauf que ce bel homme «accro à la coke et à la bibine» a été banni de l'île et sa soeur n'entend pas l'accueillir à bras ouverts, même s'il vient avec le projet offrir à des réfugiés une place sur l'île.
Car Marianne se doute que le bel équilibre construit au fil des ans pourrait être remis en cause, déjà qu'elle doit composer avec Rosie et sa bande, les ultras qui entendent faire la police sur l'île et n'hésitent pas à chasser les hommes putes qui débarquent dans des cavités de la falaise pour se vendre aux femmes.
Pour elle, il est primordial de respecter, dans chacun de leurs actes, ce qu'elle appelle l'intersubsistance ou la cosmose, c'est-à-dire l'art de se fondre dans la nature: «Tu as devant toi une société qui en épouse toutes les dimensions matérielles et spirituelles, toutes les exigences aussi. La complémentarité, l'interdépendance, la coopération, le lien».
En tentant de réconcilier le frère et la soeur, Charlotte ne va-t-elle pas remettre en cause ce bel équilibre ?
Juliette Garrigue réussit fort bien à mettre en scène cette utopie féministe et à en cerner les forces et les faiblesses qu'incarnent Marianne et Fabrizio, jumeaux aux aspirations contraires que les liens du sang rendent encore plus intransigeants. Comme notre planète dont l'équilibre au fil des ans devient de plus en plus fragile, Matria devient le symbole d'un monde idyllique en grand danger.
Voilà une entrée en littérature réussie !


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