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Critique de UnKaPart


La fracture de Coxyde aurait pu lancer une série de polars. Six ans après sa sortie, il faut se rendre à l'évidence : cette aventure de Jacques Bower est un one-shoot (et après ça les éditeurs voudraient te donner des leçons de français…). C'est pas plus mal. C'est même parfait.
Gillio a tout dit de Jacques Bower dans cet opus. Pas au sens littéral, les trois quarts du personnage restent en blanc. Mais on peut combler les vides à partir de quelques infos biographiques disséminées le long du roman et au besoin inventer grâce à cet outil formidable qui s'appelle l'imagination. En outre, Bower est posé d'emblée comme un personnage sur la fin. Usé, malade, fatigué, il en a trop vu, trop vécu, trop fait (de chasse).
Partant, pas évident d'ajouter quelque chose derrière. Certes broder sur son passé à travers x volumes n'aurait rien d'insurmontable. Mais autant tu peux confronter d'aventure en aventure un héros fringant à l'attrition, autant un vieux est déjà grignoté de partout. Restreint en matière d'évolution, sauf à donner dans la redite.
Cette histoire de Jacques Bower ouvre et clôt parfaitement la série la plus brève de la littérature. Mieux vaut du court et du bon que le pensum de son cousin américain Jack Bauer : 9 saisons de 24 heures chrono dont 7 de trop.

Le premier chapitre donne le ton avec un type retrouvé mort dans une éplucheuse à patates. Deux pages plus loin, Bower dit le Goret déboule. Entrée en scène pas piquée des hannetons-prend-sa-faucille. le bonhomme condense San A (le chevalier), Béru (le tortoreur) et Pinuche (la ruine). La fracture de Coxyde ne serait-elle qu'un énième San-Antonio-like ? Gillio a baigné dans la prose de Dard père et fils, il assume et revendique la filiation. Il parvient à la dépasser, à épigoner sans pasticher quand d'autres se viandent dans le copier-coller.
Esprit commun à travers les vannes, la gaudriole, la tatane, avec la touche Gillio en plus (ou plutôt “à la place de”), entre parfum de mélancolie et ambiance belge. Deux traits qu'il explorera à travers d'autres romans, le premier dans Batignolles Rhapsody, le second dans Anvers et Damnation.
Pas simple de marier déconnade et mélancolie, mais ici le procédé fonctionne sans donner l'impression d'un roman bancal qui ne sait pas où se situer.

On rigole beaucoup, on se détend, mais pas que.
En Belgique, tu t'attends à trouver des Belges. En pratique, tu tombes sur des Wallons et des Flamands qui ont “un peu” de mal à cohabiter. Sur les rapports entre francophones et néerlandophones, le texte tient moins du roman que du documentaire. Des scènes, des phrases sentent le vécu, que ce soit entre Belges ou via un Français qui débarque sans savoir à quel point le seul fait d'ouvrir la bouche peut générer du conflit.
Gillio dresse un état des lieux très juste, sans enfoncer les uns ou les autres. Il y a un problème réel de communication, donc de “vivre ensemble”. Et qui dit problème dit que tout le monde n'y met pas du sien pour le résoudre au mieux. Alors ça y va des dérives, du rejet bête et méchant, d'une espèce de xénophobie interne (de l'endoxénophobie ?), de mains qui ne se tendent pas vers l'autre mais en direction du ciel en mode Léon Degrelle. Bonjour l'extrême droite, comment ça va ? Vous ne nous avez pas manqué en fait, vous êtes sûre de vouloir rester ? Oui ? Ah…

Un mot enfin sur la peinture. J'ai pu lire des bouquins très prétentieux qui enfilaient les références comme Christophe Clark des Hongroises. Drame des rimes faciles entre culture et confiture… En dépit de son titre fracassant, La fracture de Coxyde ne te cassera pas les noix avec du tsointsoin intello-pictural collé là pour faire style.
Paul Delvaux et sa peinture ne servent pas de prétexte décoratif, ils sont indissociables de l'intrigue. Mieux ils font sens en créant un écho au personnage de Bower et à la question linguistique belge, à travers par exemple la thématique du temps (figé chez Delvaux, compté pour le Goret) ou de l'impossible communication (cf. le tableau "Le tunnel", festival de lèvres closes et de regards qui s'évitent).

Du très bon roman capable de combiner divertissement et intelligence, bien écrit, bourré de punchlines et de scènes surréalistes (imagine une horde de nains hurlant “Félix il a un gros kiki !”). Bref, un bouquin qui joue sur plusieurs tableaux, normal quand on parle de peinture. (J'avoue, c'est moi qui écris les répliques d'ouverture d'Horatio “Sunglasses” Caine.)
Lien : https://unkapart.fr/la-fract..
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