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Critique de terryjil


Alex Godard nous emmène, l'espace de 48 grandes pages, sur les plages de "La grande Galette", l'île de Marie-Galante, située un peu en dessous de l'île de la Guadeloupe, partager le quotidien d'une petite fille antillaise des années 60, Cécette, vivant avec ses grands-parents paternels, Man Ninie et Papoli. Cette année, sa mère partie travailler au loin ne pourra pas rentrer. En attendant de pouvoir la revoir, Cécette lui écrit une jolie carte postale, et le soir va écouter Racik le conteur, qui parle de Maman-Dlo...

un peu de contexte temporel: les années 60 sont une période loin d'être anodine, qui permet de penser que la maman de Cécette fait partie des nombreux Antillais attirés en France métropolitaine par la politique du Bumidom : un dispositif créé par Michel Debré 4 ans plus tôt (la lettre de la maman est datée de 1967) pour à la fois amener de la main d'oeuvre bon marché en métropole, et calmer les tensions du chômage guadeloupéen dû à la crise de l'industrie de la canne à sucre.

"Et si derrière l'horizon il y avait une maman-dlo, une énorme maman-dlo? [...] Cécette monte dans le bateau les poings serrés, comme si elle allait devoir se battre contre la Reine des Eaux. Contre toutes les Maman-dlo qui promettent monts et merveilles pour mieux séparer ceux qui s'aiment."

Et si cette fameuse "énorme maman-dlo" était la France Métropolitaine? les "monts et merveilles" étant la communication du Bumidom, promettant de bons emplois bien payés aux Antillais, qui déchantaient cruellement en constatant qu'ils étaient essentiellement cantonnés au ménage, au bâtiment, au petit fonctionnariat? Toutefois nous ne sommes pas dans une étude sociologique mais en littérature jeunesse, le livre s'attache surtout à nous parler du point de vue de Cécette, et il n'y a pas vraiment de détails, à part sur le climat (et c'est assez drôle!):

"De toute façons, c'est d'un ciel bleu que sa mère a besoin. Là-bas, c'est gris tout le temps. Cécette dessine aussi une case en planches, recouverte de tôles ondulées; sa maman pourra ainsi s'endormir en écoutant hanter la pluie sur le toit. Derrière, elle peint un arbre, un mapou, aux feuilles bien solides. Là-bas, les arbres perdent leurs feuilles. Drôle de manie! elle n'oublie pas de mettre un gros soleil bien jaune, parce que, là-bas, dit-on, il fait très froid. Cécette imagine des gens marchant dans un réfrigérateur."

L'album est construit de manière très classique: une page de texte à gauche, une image pleine page à droite; à quelques exceptions près où le texte s'insère sur l'image qui s'étale sur la double page. L'illustrateur a travaillé au pastel sec, donnant un certain flou, une grande douceur à ses images très lumineuses, où les teintes se partagent entre couleurs terre et turquoise.

J'aime beaucoup la couverture, qui se présente telle une frise de coquillages (un peu comme celle qu'elle dessine pour sa mère) entourant une photo posée sur le sable : la petite silhouette de Cécette qui fixe patiemment, confiante, l'horizon...
Alex Godard, dans ses illustrations, fait la part belle aux paysages, aux objets; la vie quotidienne est manifestement importante pour lui. Il montre aussi une grande maîtrise de narration en mariant à merveille textes et images, notemment les pages 23 et 24, où en face de la lettre de la mère expliquant qu'elle ne peut pas rentrer, se trouve l'image de Cécette la tête enfouie dans les bras: il n'est besoin d'aucun texte supplémentaire pour exprimer tout le chagrin, toute la déception de l'enfant qui espérait tant revoir sa maman.

Il y a un bel éloge de la lecture, de son utilité et de sa transmission, avec les scènes entre Cécette et Man Ninie, sa grand-mère, dont une où les rôles sont inversés entre l'enfant qui sait et l'adulte qui apprend...

En refermant le livre, même si je trouvais l'histoire de Cécette pleine d'espoir, j'étais un peu frustrée par le peu de place de la sirène Maman Dlo dans cet album alors même qu'elle lui donne son titre (j'ai remarqué que la version anglaise: Mama, across the sea - c'est-à-dire "Maman, au delà de la mer" fait disparaître du titre la référence à la sirène et ne garde que l'éloignement de la mère).

Maman dlo (parfois orthographiée manman dlo, ou encore maman dilo) apparait ici comme une maléfique sirène qui sépare les familles et le conte est tragique, donnant une explication possible à Cécette sur la disparition de son père pêcheur.

Il aurait été sympa de la part d'Albin Michel Jeunesse de mettre, comme Syros l'avait fait pour le conteur d'étoiles, un lexique des termes créoles à la fin du livre, pour les mots tels que zandoli, caca-boeuf, roukou... incompréhensibles pour les métros comme moi! Mais heureusement l'auteur en met un sur son propre site :) Merci à lui!

Je pourrais continuer à écrire encore longtemps au sujet de ce livre car il est plein de petites choses dont j'ai envie de parler, mais il faut bien s'arrêter un jour, n'est-ce pas?

Ma critique est aussi visible sur mon blog http://sirenologie.canalblog.com, complétée d'illustrations extraites , de cartes pour resituer les lieux et de quelques liens ( une autre critique, une vidéo réalisée par une classe).
Lien : http://sirenologie.canalblog..
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