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Critique de MarcelineBodier


Voilà un livre qui me laisse une impression amère. J'aime la musique de Nirvana, je l'écoute régulièrement dans le secret du mp3 où je choisis ce que bon me semble : Smells like teen spirit évidemment, mais aussi Come as you are, Lithium, ainsi que des titres de la session MTV unplugged, comme About a girl ou Where did you sleep last night. Je suis sensible à l'énergie qui s'en dégage. J'ai été très contente que la dernière masse critique me décerne l'autobiographie de Kurt Cobain : je connaissais évidemment son destin tragique, et j'étais curieuse d'apprendre quelle vie l'avait mené à la fois plus haut qu'aucun de nous ne va jamais, mais aussi plus loin dans les profondeurs sombres où il a décidé de quitter brutalement la vie en pleine gloire.

Après cette lecture, suis-je en mesure de dire que je comprends mieux Kurt Cobain ? Pas vraiment. Bien sûr, le livre est un témoignage et à ce titre, il ne peut qu'intéresser les historiens de la musique. Mais il ne faut pas oublier de qui émane ce témoignage : du manager de Nirvana, donc un de ceux qui se sont retrouvés sous le feu des critiques après la mort du chanteur. Il y a un effort d'auto-justification dans le récit, ainsi que des règlements de comptes, qui m'ont déplu et que je n'ai même pas envie de commenter davantage ; tout cela était sans doute inévitable et après tout, le lecteur n'est pas pris en traître puisque la quatrième de couverture précise bien qui est l'auteur.

Par ailleurs, le milieu du rock est décrit d'une manière qui confine à l'infantilisme, avec des conflits de personnes absurdes sur des points d'ego (entre Axl Rose et Kurt Cobain notamment), qui font plus penser à des échanges de cour de récré qu'à des débats d'idées. Pourtant, le livre montre aussi qu'il y a vraiment eu, dans la vie de Kurt Cobain, matière à alimenter des débats d'idées, notamment sur le rôle de l'artiste : il semble que le chanteur ait alterné entre un pôle de fidélité à ses idées premières, incarnées par le punk rock et l'indépendance vis-à-vis des gros labels, et l'envie d'avoir du succès et de diffuser ces idées « de l'intérieur ». Ce conflit revient plusieurs fois au fil du livre et il aurait mérité une mise à plat complète plutôt que des paragraphes embarrassés se concluant finalement (p. 228) sur l'idée que Kurt Cobain aurait incarné un « chemin intermédiaire ». Par ailleurs, le conflit avec Axl Rose n'est pas décrit uniquement comme une affaire d'ego, mais comme une divergence profonde entre un groupe homophobe et sexiste, et Nirvana, qui a soutenu la cause homosexuelle au moment de votes qui ont failli faire passer des lois très rétrogrades. Fallait-il pour autant présenter ce soutien comme sous-tendu par une sorte de regret de Kurt Cobain de ne pas être bisexuel, car il était « plus attiré par [sa femme] que par aucune autre personne » (p. 227) ? Peut-être a-t-il tenu de tels propos, mais la manière dont ils sont utilisés dans le livre diminue beaucoup la portée de son engagement. Pourquoi donc faudrait-il inventer la catégorie « presque gay » (sic, p. 221) pour justifier le soutien à la liberté d'être gay ?

J'ai quand même relevé au vol une phrase que j'aimerais pouvoir penser de toutes celles et ceux qui se suicident, choix respectable, mais éminemment difficile à accepter, et dont il est inévitable de se demander avec culpabilité comment il aurait pu être évité – car il aurait dû l'être : « Il a accompli plus de choses en très peu de temps que la plupart d'entre nous pendant toute leur vie » (Al Smith, p. 283). Ce n'est pas une consolation, mais c'est la possibilité de trouver quand même un sens dans une vie quittée parce qu'elle n'en avait plus pour celui ou celle qui la vivait ; la possibilité de nous dire « il est mort, elle est morte, mais il a vécu, elle a vécu ». Finalement, plus que le goût amer du livre, c'est cette phrase que j'ai envie de retenir.

Merci à Babelio et aux éditions Kero.
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