AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de hcdahlem


«Débrouiller le brouillard»

Avec humour et sensualité, Élise Goldberg nous offre un premier roman qui explore ses origines familiales à travers la cuisine ashkénaze. La carpe farcie devient alors une boussole qui permet de remonter dans le temps. Et de découvrir une culture.

Quand son grand-père meurt, la narratrice hérite de son réfrigérateur. Un objet qui a conservé une odeur bien particulière, celle du chou blanc, bien loin de celle des plats qu'elle se souvient avoir mangé chez lui lors des fêtes de famille. Une première énigme qui sera suivi de nombreuses autres, car bien des mystères entourent le passé familial.
Mais pas question de faire chou blanc. Voilà la romancière qui enfile son tablier et prend la direction de la cuisine.
Vont alors défiler de nombreux plats, mais avant tout des couleurs et des odeurs. Et derrière la carpe farcie – que tout le monde n'a pas la chance d'aimer – c'est toute une culture que le lecteur va découvrir. Et derrière ces mots en yiddish, c'est la destinée des juifs polonais qui va s'écrire avec un humour inimitable. Derrière les incontournables que sont le hareng et la pomme de terre, le foie haché et la carpe farcie, on savoure des mets improbables cachés derrière un vocabulaire qui ne l'est pas moins. Prenons-en quelques-uns, histoire de cous faire saliver: «Klops. Sonne comme shmok (imbécile), comme claque, éclopé, clope, mais surtout comme cloque. Pain de viande débordant de sa terrine en cloque. Latkès, se prononce comme «délicatesse» pour désigner de simples beignets de patates râpées. Ferfels, petites pâtes vaguement carrées qui, avec leur grise mine tristounette, n'ont rien de farfelu. Yoykh, cri de joie surprenant pour un bouillon. Lokshn comme louche, qu'on troquera pour une fourchette qui piquera dans ces pâtes. Vempl, aussi sexy qu'une vamp pour un plat d'estomac de boeuf. Kreplekh, raviolis faux amis quand blintsès se rapproche davantage des crêpes que chacun connaît. Boulbès, rappelant le bulbe de l'oignon pour des patates. Kroupnik: croupe-nique ou, pire, croupi pour une soupe d'orge perlé. Tsibèlès mit eyer, cible d'un ailleurs pour ce qui s'avère n'être qu'oeufs aux oignons.»
Si aujourd'hui les convives sont de moins en moins nombreux autour de la table, c'est qu'ils sont morts, emportés par la vieillesse, mais aussi par la barbarie. Une partie seulement des ancêtres parviendra à échapper aux nazis, prenant alors la route d'un exil incertain menant en Russie communiste, au Kirghizistan et en Ouzbékistan avant de rejoindre la France via l'Allemagne et la Suisse. C'est pourquoi la romancière s'est trouvée un «intérêt terreux pour les racines» et entend «débrouiller le brouillard».
Si on se laisse volontiers emporter par la musicalité de ce texte, c'est sans doute parce qu'il a été conçu d'une façon tout à fait particulière. Car Élise Goldberg anime des ateliers d'écriture et a appris à faire chanter les mots. Avant d'en faire un roman, elle a construit un spectacle autour de sa culture et de la cuisine ashkénaze, mêlant les musiques traditionnelles yiddish à ses mots. le tout donnant un concert savoureux et nostalgique qu'elle a présenté avec la chanteuse et guitariste Muriel Missirlou.
Voilà en tout cas une entrée en littérature réussie, mêlant avec subtilité les cornichons dans toutes leurs variations et l'inspecteur Columbo, «une gentillesse qui ne vous prend pas de haut. Comme mon père.», à moins que ce ne soit Alexandre le Bienheureux ou encore Bernie LaPlante, le personnage incarné par Dustin Hoffmann dans Héros malgré lui. En faisant à nouveau la preuve que l'amour passe par l'estomac, Élise Goldberg sonde sa mémoire et la mémoire collective, réfléchit aux questions d'héritage et de transmission. Son récit est habilement construit, en fragments, mêlant avec une belle musicalité un humour dont on se souviendra qu'il est la politesse du désespoir.


Lien : https://collectiondelivres.w..
Commenter  J’apprécie          260



Ont apprécié cette critique (26)voir plus




{* *}