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Critique de Eve-Yeshe



Vittorio Puig psychanalyste, rentre dans son appartement. Il fait froid, il y des verres cassés, du désordre. Il ferme la fenêtre, cherche sa femme Lisandra quand il entend hurler dans la rue : en ouvrant la fenêtre il voit le corps de sa femme écrasé sur le trottoir.
Tout de suite, la police l'accuse du meurtre et il demande à une de ses patientes, Eva-Maria qui vient le voir au parloir, d'enquêter, d'aller chez lui, chercher les cassettes des enregistrements récents de ses entretiens avec ses patients. Nous sommes en Argentine, à Buenos Aires en 1987, le spectre de la dictature n'est pas loin.
Eva-Maria est persuadé qu'il est innocent donc elle accepte d'écouter et retranscrire les entretiens en questions, pour trouver une piste, quelqu'un qui lui en voudrait assez pour tuer Lisandra en guise de rétorsion. Cette femme a perdu la trace de sa fille, qui a disparu lors de la dictature, et elle entretient des relations houleuses avec son fils Esteban.



Ce que j'en pense :

Dans ce roman, Hélène Grémillon aborde plusieurs problèmes. Tout d'abord, celui de la culpabilité : Vittorio a-t-il ou non tué sa femme ? Mais aussi la culpabilité que chaque être peut ressentir par rapport à ses actes ou ses pensées.
Elle aborde également l'état de la police et son fonctionnement après la dictature. Est-ce que la présomption d'innocence existe ? Quand on voit comment sont menés les interrogatoires, la suspicion d'office, on se dit qu'il y a encore des progrès à réaliser.
Que sont devenus les tortionnaires ? Ils n'ont pas vraiment été jugés et se sont infiltrés dans les nouveaux rouages. Il y a une nostalgie de ne plus pouvoir torturer.
Quel rôle ont joué certains psychiatres sous la dictature ? Il est clair que certains ont participé à la mise au point des tortures psychologiques. Les thérapies cognitives et comportementales (TCC) ont été largement utilisées dans les pays sous dictature. On reconditionnait les gens pour qu'ils pensent conformément aux règles du régime, ce qui existe encore. Que sont-ils devenus eux-aussi ces psychiatres? Certains sont installés tranquillement dans leur cabinet en ville, qui va les soupçonner ?
Eve-Maria est traumatisée à vie par la disparition de sa fille, elle a peut-être défilé sur la place de mai le jeudi avec les autres mères qui ont perdu un enfant ou un mari ? Est-ce qu'on peut faire le deuil d'un disparu : il n'y a pas de corps devant lequel se recueillir, donc l'espoir qu'il ne soit pas mort est là, tapi dans l'ombre, même s'il est ténu.
Elle boit pour tenir le coup et passe complètement à côté de la souffrance de son fils Esteban (on ne peut pas lutter contre une disparue qui au fil du temps devient de plus en plus parfaite car idéalisée alors que lui accumule les maladresses et les bêtises pour que sa mère s'intéresse enfin à lui).
Eve-Maria en écoutant les enregistrements comprend que Vittorio a aussi en thérapie des anciens membres de la dictature : Felipe par exemple qui a adopté un enfant (probablement un enfant enlevé à une opposante au régime) donc, sa confiance est ébranlée, comme peut-il être patient et attentif avec un ancien criminel comme il l'est avec elle qui est une victime.
On voit passer aussi Alicia qui n'est préoccupée que par une chose dans sa vie : l'apparition d'une nouvelle ride, sa peau qui flétrit, ses mains qui vieillissent et qui envie les femmes de la place de mai avec leur foulard blanc ridicule car elles au moins elles ont d'autres préoccupations !!!!
Un autre patient, Miguel, pianiste, ami de Vittorio vient raconter ce qu'il a vécu sous la torture et qu'il a mis des années à mettre en mots. Mais à une soirée, il a soudain reconnu une voix, celle d'un de ses bourreaux et tout est devenu clair dans sa tête…
On s'interroge aussi sur la personnalité de Lisandra ; on sait que c'est une jeune femme fragile, qui a un immense besoin d'être aimée, elle ne peut avoir confiance en elle qu'à travers le regard de l'autre. La culpabilité est présente aussi, chez elle. Qu'a-t-elle fait de si terrible pour ne pas mériter l'amour. On s'attache à elle car on sent qu'il y a un lourd secret qui se révélera à la fin du roman (fin qui est d'ailleurs extraordinaire). On l'imagine, aérienne, évoluant sur la piste, si belle et si fragile.
Un très bon roman, qu'on peut qualifier de « polar psychologique » où l'auteur a su aborder tous les thèmes de l'histoire de l'Argentine après la dictature, et les répercussions sur les personnages. La torture est omniprésente, les enfants enlevés à leurs parents et confiés aux dignitaires du régime, l'envie de vengeance aussi, et l'impossibilité du deuil, la fragilisation des protagonistes dans ce milieu où régnait la peur, la crainte d'être dénoncé. Et en parallèle tous les thèmes chers à la psychanalyse : culpabilité, souffrance, manque d'estime de soi…
Et même la danse, que Lisandra pratique avec un professeur, pas n'importe quelle danse bien sûr, le tango argentin avec ses accents dramatiques qui nous émeuvent en profondeur, qui parlent à notre âme comme peuvent le faire le fado ou le flamenco (tiens donc, ici aussi on lie musique et dictature). La danse dans laquelle elle oublie ses peurs et les transcende.
J'ai beaucoup aimé ce livre et Hélène GREMILLON est aussi une auteure que je vais suivre de près. En commençant par « le confident » que je n'ai pas encore lu.
Note : 8/10
pour en savoir plus cf. mon blog
Lien : http://eveyeshe.canalblog.co..
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