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Critique de Eskalion


« Je m'appelle Clyde Wayne Franklin, je suis un prescripteur de poisons poétique, et un fournisseur d'alphabet. Je suis tatoué de lettres sur la nuque le torse le dos les fesses l'entrejambe les bras les jambes les pieds et les mains. Je suis un langage en acte, muni d'une hache, d'un revolver et d'un stylo. le monde se cache, horrifié, à mon approche. On m'appelle l'Homme Alphabet. »

Quand il sort de prison, une vingtaine d'années se sont écoulées depuis le meurtre de ses parents pour lequel il a été condamné. Entre temps Clyde est devenu un poète controversé de grande renommée, cet Homme Alphabet qui porte sur lui les instruments de sa propre créativité.

Retrouvant à peine la liberté il est appelé à l'aide par Barbie, sa petite amie, une ex-prostituée qui a eu la très mauvaise idée de faire chanter un de ses clients, un homme politique ambitieux et peu enclin à la chansonnette ! Depuis celle-ci reste introuvable, et c'est à sa recherche que va se lancer notre poète. Va débuter alors une quête complètement délirante, paranoïaque et fantasmagorique, où le cerveau dérangé de cet homme pluriel fait office de salle obscure où s'entremêlent les voix!

Car Clyde n'est pas seul, il est accompagné de Chuckles , un clown qui hante son esprit, lui-même affublé d'al son agent artistique. Un clown à qui il laisse les clés quand il est victime d'un de ses fréquents « Blackout », de ces absences dont il ne garde rien en souvenir et d'où la mort peut surgir. « Bien sûr Chuckles ne ment qu'à moi…Quand il me rend les clés, il ne me dit jamais ce qui s'est vraiment passé. Je lui pose toujours la question « Je ne risque rien ? » et il répond « Nan » , mais dès qu'il essaie de me raconter une de ses histoires à dormir debout sur mon comportement aberrant, j'arrête tout bonnement de l'écouter. »

Clyde est donc un poète meurtrier, devenu la coqueluche d'une société qu'il exècre, le poète-assassin qui calomnie le monde des humains, cette morne râlocratie qui s'est répandue depuis le Kenya, à coups de caillasse, de machette et de queue […] Il a grandi dans un environnement particulièrement déjanté, témoin d'un père alcoolique qui frappait régulièrement sa mère (consentante ?) dans des jeux sadomasochistes, et où lui-même n'est pas vraiment sûr de la nature de sa relation filiale qu'il pouvait entretenir avec elle.

« Si un enfant est jeté dans les ténèbres, si un enfant est jeté dans les ténèbres extérieures, si un enfant ne reçoit pas d'amour et ne voit pas d'amour à part l'amour des chaînes et des fouets, l'enfant construira un monstre, morceau par morceau, au-dedans de lui. L'enfant construira sa maladie; l'enfant qui en voit trop construira son aveuglement »

C'est ainsi que Clyde construira son alphabet dont il se couvrira le corps, comme d'autres portent une amulette, pour se protéger d'une réalité qu'il ne peut plus affronter et qu'il enfouit sous les morts et sous les mots. Accroché à ses lettres comme à une bouée pour ne pas sombrer, il dérive à la frontière de cette réalité qui s'estompe et se perd dans les méandres de son esprit torturé.

Clyde ne se rappelle pas vraiment. Il ressent, pressent, suppute. Se souvient-il seulement de ses meurtres ? Juste de deux, tout au plus, « tel un hottentot de retour de bataille, on me demande de dénombrer mes victimes, et je ne peux répondre que deux. Choqué et avili, je suis sommé de recompter. Je répète mon chiffre solitaire. le seul nombre 2. Père et les autres. »

Difficile quand tout est mélangé dans son esprit de se repérer dans le monde libre et de remonter la piste de Barbie sa fiancée. D'autant que même dans le monde réel les apparences sont parfois trompeuses.

C'est un roman fulgurant, furieux et violent que signe là Richard GROSSMAN.

Lorsque j'ai ouvert celui-ci et que j'ai commencé à en parcourir les premières pages, j'ai eu immédiatement la sensation que j'avais entre les mains, ce qu'un de mes visiteurs a un jour appelé, « un ovni littéraire » ! Car ce livre est à lui seul un univers, un ilot solitaire au milieu de l'océan du polar et du roman noir.

Mais c'est aussi un peu le propre de cette collection « Lot 49 » des éditions du Cherche-midi que d'ouvrir de nouveaux horizons en éditant des romans à la géométrie littéraire expérimentale.

Nul doute que celui-ci ne laissera pas son lecteur indifférent, dans un sens ou dans l'autre. Inutile de vous dire que pour ma part l'expérience fut une réussite, tant l'ouvrage m'aura désorienté, aimanté et au final fait prisonnier.

Lire ce roman s'est s'engager dans une aventure schizophrénique, un plongeon vertigineux dans la poésie et la folie d'un homme, mais c'est également parcourir une oeuvre graphique, une création typographique originale.

Les chapitres alternent les moments d'enquête classique du personnage, avec les passages de purs délires paranoïaques ou les éructations poétiques de cet être perturbé. La mise en forme est tout aussi particulière et liée à l'état d'esprit de Clyde .

Ce roman s'inscrit dans une trilogie, intitulée « American letters », placée sous le signe de Dante et de son Enfer.

Pour ma part, j'espère que les portes de l'enfer ne se refermeront pas trop vite, juste le temps nécessaire pour voir en sortir le prochain opus que j'attends déjà avec impatience.
Lien : http://passion-polar.over-bl..
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