AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de sultanne


Quel périple que celui d'Ora, un périple où le temps s'arrête, s'étire, s'entortille au grès des tergiversations de sa mémoire.
Ora et Avram. J'ai longtemps pensé qu'ils figuraient l'aube de l'humanité, le couple originel, évoluant dans une Galilée extraordinaire, posant, au passage, les questions existentielles qui taraudent tout homme.
Car Ora n'est pas le poncif de la mère juive, loin de là, ce n'est pas un stéréotype ; toute femme, toute mère acquiescera : Ora, c'est l'universalité de la Femme ; elle remet la femme à sa place, au sein de la famille, au sein de l'humanité. La femme sacrificielle, éponge de l'homme, réceptacle de la vie.

Le rapport homme/femme et, tout particulièrement, le rapport charnel est sublimé. Chaque acte d'amour rapporté par ce livre a une fonction vitale (celle de concevoir un enfant, évidemment, celle de lui donner une consistance, de l'aider à naître). Il a quelque chose de profondément animiste, il est l'expression des profondeurs de la Terre-mère, dans laquelle Ora engouffre avec avidité sa tête pour se confier. Ora, personnage aux dimensions mythique, ne représente pas seulement une génération. Plus encore, elle a quelque chose de mythique, de mythologique, d'animal, de primitif, à l'image de cette Terre redoutable, ravageuse, destructrice, mais qui sait aussi être féconde et insuffler la vie.

L'image vieille comme le monde du juif errant est ici portée à son paroxysme. Ora est rejetée par les siens : son mari qui la quitte, son fils aîné lui en veut et s'éloigne d'elle, son cadet lui préfère une autre, puis la guerre, son premier amour ne veut plus la voir. Ce juif errant, image cathartique de toute une génération d'hommes et de femmes, coupables, coupables d'exister et d'avoir contribué à alimenter la chair à canon. Ora prend tout cela sur son corps, tel ce sac à dos qu'elle emporte, qui la blesse, l'écrase, la gêne, mais dont elle ne se défera pas. Ce périple, celui du juif errant, du premier couple de l'humanité, mène l'Existence toute entière d'un point inconnu (Ora et Avram ne savent pas précisément d'où ils sont partis) et les conduisent petit à petit vers Jérusalem, symbole suprême qu'ils n'atteindront jamais, le reste du chemin appartenant, me semble-t-il, au lecteur.
Plus qu'une mère juive,donc, Ora prend une dimension universelle : ses angoisses, sa dimension sacrificielle, sa douleur physique, animale, sa culpabilité, ce sont celles de toutes les mères du monde et je me suis plu, à la lecture de cette femme qui fuyait l'annonce à entendre mon corps raisonner parfois à l'unission avec le sien.

L'arrière-plan historique faisant partie intégrante de la trame narrative, Grossman a la délicatesse de ne pas entrer dans les détails de la barbarie, il nous fait grâce de l'horreur, de l'abominable, il ne fait que les suggérer avec un tact infini, ménageant le lecteur et le priant de porter son attention sur l'essentiel : la vie, qui court et qui continue.

Néanmoins, le délice a eu, lui aussi, ses revers : Tout d'abord, le livre est long, terriblement long, la randonnée dure et s'éternise, traînant le lecteur exténué sur quelques 600 pages noircies jusqu'à plus d'encre ; Ora, puis Avram s'en mêlant, ne permettent aucun répit à ce pauvre lecteur qui n'en peut plus de les suivre. Quelques erreurs de grammaire brisent, de-ci de-là, l'illusion ; quelques invraisemblances cassent violemment le rythme narratif (par exemple, le récit, long et douloureux, d'Ilan qui court à la recherche d' Avram est totalement invraisemblable dans la bouche d'Ora).
Et puis, surtout, et puis, cette fin, qui m'irrite, qui ne répond pas à mes questions, et qui laisse en suspend ces personnages qui sont devenus mes amis et que je sais éternellement errant, elle est insupportable !

Pour plus d'échanges, rejoignez-moi sur Instagram :
Lien : http://www.instagram.com/les..
Commenter  J’apprécie          130



Ont apprécié cette critique (9)voir plus




{* *}