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Critique de cedratier


« Trois concerts » Lola Gruber (Phébus, 588 pages)
Tout simplement MAGNIFIQUE ! Ce « Trois concerts » est une oeuvre !
Clarisse Villain (sic !), petite fille tellement repliée sur elle-même que ses parents la craignent autiste, trouve dès son plus jeune âge dans la pratique du violoncelle le seul moyen d'apaiser ses fêlures les plus profondes. Elle est si douée qu'à 7 ans, elle finit par convaincre Viktor Sobolevitz, génie incontesté de cet instrument, de devenir son professeur, son maître. Retiré de la scène publique depuis la mort dramatique de sa femme, celui-ci reste aussi prisonnier de ses blessures, personnelles et musicales. le niveau d'exigence du vieil homme portera l'enfant puis l'adolescente vers les sommets de son art. Mais Sobolevitz cache aussi une mystérieuse partition pour violoncelle écrite spécialement pour lui par un très grand compositeur, une oeuvre mythique après laquelle depuis des décennies tout le microcosme musical court en vain. Clarisse pourra-t-elle, osera-t-elle interpréter cette pièce magistrale ? Jusqu'au moment où Rémy Nevel vient bousculer l'histoire de la jeune prodige ; célèbre critique musical à l'ambition sans limite, carriériste et séducteur, il n'hésite pas à manipuler Clarisse pour arriver à percer les mystères du vieil homme, sans soucis des dégâts qu'il provoque.
Ce roman est une pure merveille à bien des égards. Certes, j'imagine qu'il a au moins deux niveaux de lecture : l'un pour ceux qui maîtrisent les outils, les codes et le vocabulaire de la musique classique et de son univers, qui sont capables d'entendre intérieurement un morceau à la simple évocation de son titre ; l'autre pour ceux qui, comme moi, malgré une sensibilité mélomane, en sont dépourvus. Alors oui, les références sont nombreuses, les détails techniques fourmillent dans une terminologie qui m'est le plus souvent absolument inaccessible, et pourtant, bizarrement, cela n'a absolument pas freiné mon enthousiasme, je ne me suis jamais senti démuni ou exclu. Et profiter en fond sonore d'un quintette à cordes de Schubert en lisant le passage du roman où il est évoqué !...
Il faut dire que c'est d'abord une histoire, une vraie, particulièrement prenante, les surprises et les rebonds sont assez nombreux pour nous empoigner pendant les 600 pages, au dernier quart du roman on se rapproche d'ailleurs presque d'un suspense digne d'un polar. L'émotion est toujours très forte, permanente, les personnages parfaitement portraiturés – y compris les « personnages » instruments de musique. Lola Gruber en dévoile avec une extrême finesse les ressorts intimes. Il faut lire comment elle démonte avec humour les petites mesquineries d'un orchestre, d'un univers musical et de tous ceux qui gravitent autour, critiques, journalistes ou sponsors en mal d'image. Comment elle fouille avec un tel sens de l'observation ce qu'est un apprentissage, une transmission. Ce qu'est aussi un rétrécissement sur soi. C'est une histoire de musique certes, mais aussi de liens, de rapport maitre-élève, d'oubli de soi pour le meilleur ou pour le pire, de désir amoureux, de soumission et de manipulation, de blessure intime. C'est impressionnant de voir Clarisse tellement habitée par son jeu, comment elle résiste, se soumet, plie, se redresse, se bat, s'enferme et se libère. J'ai lu ici ou là que Lola Gruber n'était pas musicienne ; j'ai un peu de mal à y croire. Comme j'ai du mal à croire qu'elle n'ait pas une expérience profonde du repli sur soi, du rapport d'apprentissage dans un lien aussi fort qu'éprouvant de maître à élève, ou de passion amoureuse, tant son écrit est immédiatement convaincant, tant il touche par les vérités si profondément humaines qu'il analyse. J'ai du mal à y croire, mais il est fort possible que je me trompe totalement, peut-être est-il le fruit d'un énorme travail documentaire, mais adossé à un incontestable talent ; et quel talent ! Et c'est bien cela qui compte. Clarisse revisitant sa manière d'interpréter des danses hongroises sur son instrument après avoir dansé pour la première fois ; Clarisse cherchant, dans sa passion musicale, sa propre vérité, son absolu ; chacune des situations que décrit LG est criante de vérité, rien de sonne faux, c'est aussi cela qui touche le lecteur.
Construit par petites touches, avec des allers-retours dans le temps, des chapitres centrés sur les différents personnages, ce roman très bien structuré témoigne aussi d'un formidable travail d'écriture, plein de trouvailles, mais un travail qui se fait totalement oublier. L'expression est souvent assez orale, puisqu'elle passe par la voix, extériorisée ou pas, des différents protagonistes, des « Je » et des « Tu ». C'est facile à lire, parce que c'est peaufiné, débarrassé de tous les oripeaux inutiles, et pourtant c'est une belle langue, poétique, chaude ou âpre suivant les moments.
Et c'est plein de belles trouvailles
« - Ils sont venus au concert pour qu'il leur arrive quelque chose. Qu'il leur arrive à eux, et pas pour contempler ce qui t'arrive à toi. »
« - Sombre et flamboyant, Cesare Piacentino ferme la marche, flanqué de deux grands femmes lentes enroulées à ses pas. »
« - Bientôt ta propre personne ne suffit plus à loger le dégoût que tu éprouves pour elle, le dégoût alors se répand, jusqu'à te gouverner en maître et t'interdire sa société. »
Et cent autres…
Je ferme ce roman tout crayonné de mes soulignages, et je me dis à nouveau que lire est une chance, une grande et belle joie. Merci Lola Gruber.
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