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Critique de DETHYREPatricia


#Prixdesauteursinconnus2022
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#PAI2022
OUVRAGE SÉLECTIONNÉ DANS LE CADRE DU PRIX DES AUTEURS INCONNUS 2022 – Catégorie LITTÉRATURE NOIRE dont je suis l'un des jurés.

Il faut le dire en préambule, l'extrait lu lors des présélections, et retenu par mes soins dans le top 5 de mes pré-finalistes a tenu toute sa promesse ! Il faut dire que la couverture et le résumé de 4e de couverture annonçaient bien la couleur (c'est NOIR). C'est un polar pur jus où un flic (dont on verra qu'il est entre autres cassé par son divorce, alcoolique et fumeur) sera amené à rechercher l'auteur ou les auteurs de meurtres de jeunes filles « de la haute » bien sous tous rapports !

Sur le fond, l'auteur a bâti une vraie intrigue de polar, et même plus, car on s'apercevra bien vite en fait que ce sont plusieurs enquêtes ou affaires qui s'entremêlent. Dans un melting-pot dont on ne mesure pas trop bien, au départ, les liens de cause à effet, on retrouve tous les ingrédients du genre : un crime d'enfant non résolu ; un suicide qui n'en est peut-être pas un ; des meurtres en série laissant une signature particulière ; des flics supervisés par une « commandant » à poigne de fer et au passé obscur ; des méchants (un tueur à gages russe, un pervers pédophile tchétchène) ; des petites pestes manipulatrices ; des coupables qui n'en sont pas ; des hommes d'affaires et autres personnalités pas très clean ; et même une avocate américaine plus que borderline… tout cela sur fond de corruption, d'argent sale, de drogue, de prostitution sado-maso et de faits de torture, dans le cadre idyllique de la Côte d'Amour que l'auteur s'attache à magnifier.

Sur la forme, c'est excellemment bien construit (même si parfois cela nécessite un petit temps d'adaptation pour le lecteur pour comprendre le changement de lieu, d'époque, de narrateur ou de personne dont il est question, etc.). L'intrigue principale se déroule entre décembre 2018 et octobre 2020. Celle-ci est entrecoupée de flash-back (période entre 2016 et 2017) évoquant deux personnages féminins. de même, viennent s'ajouter à cette intrigue principale la narration d'un autre crime remontant à 2003 (le suspect d'hier pourrait-il être le meurtrier d'aujourd'hui ?), ainsi que la narration d'une histoire (qui n'est pas une « affaire » mais qui pourrait le devenir) s'étant déroulée entre 2015 et 2016 et pour laquelle la personne en charge de l'enquête est directement impliquée. Toutes ces strates elles-mêmes entrecoupées d'un autre niveau de lecture : les lettres touchantes, que Paul, le personnage masculin principal, écrit à sa fille Chloé dont il est éloigné et qui sont ressenties comme autant de respirations dans son quotidien difficile… de plus, celles-ci donnent à voir une autre facette de sa personnalité et de ses tourments.

Le style d'écriture est également intéressant car il alterne régulièrement entre un récit et de nombreuses descriptions (notamment de paysages ou de lieux) avec des expressions et formules métaphoriques plus qu'imagées et poétiques et un récit décrivant un réel cru et difficile lié au monde interlope des affaires, de la corruption et de la police. Bizarrement, la cohabitation fonctionne. C'est comme si l'auteur voulait, par petites touches colorées et lumineuses, casser l'ambiance noire de l'intrigue ou au contraire, mettre l'accent sur son caractère particulièrement cruel et injuste, au regard de la beauté du cadre dans lequel elle se déroule.

Les points forts du roman :

Pour moi, d'une façon générale, sa construction et son style. J'ai apprécié la façon si précise dont la caractérisation physique et psychique des différents personnages (et il y en a beaucoup !), tout en évoquant une partie de leur histoire, est faite ainsi que la façon dont le lecteur a accès à leur ressenti respectif (descriptions ou pensées écrites en italiques). J'ai remarqué le caractère particulièrement bien documenté des informations relatives au fonctionnement de la police (culture et histoire de la police, méthodes d'investigation ou d'autopsie), même si ici ou là de petits compléments d'information auraient été nécessaires. Au registre de la description et de la documentation, une mention spéciale pour les descriptions de lieux et paysages (Nantes, Saint-Nazaire, villes du bord de mer de la Côte d'Amour) mais aussi pour l'information qu'elles renferment sur leurs activités industrielle, artisanale, tertiaire, ou encore touristique. C'est foisonnant et riche. Et c'est l'occasion pour l'auteur de déployer tout son talent descriptif via des expressions et formules métaphoriques particulièrement belles ! Sans dresser un inventaire à la Prévert (ce serait trop long), en voici quelques exemples :
« innocence de sa peau « , « onctueuse pellicule blanchâtre », « lèvres qu'elle avait choyées d'un rouge vif », « la roche humide, remplie d'algues vertes, luisait sous les rayons de l'aube », « le ciel resplendissait d'un bleu vif, laissant pleinement le soleil dorer la terre de ses rayons », « par sa mort, sa fille venait de lui ôter sa vie », « comme dirigés par une dictée de vivre, nos mots, nos pas, se faisaient de plus en plus discrets », « Émergeant des dunes tel un château de sable qui aurait résisté à la marée, la petite chapelle de Sainte-Marguerite dominait un océan tumultueux qu'elle combattait sans faillir », « le ciel était d'un bleu pastel de cette couleur poudreuse qui recouvre les dessins d'enfants », « les couleurs orangées du ciel au crépuscule, seul l'océan pouvait offrir pareille oeuvre d'art peinte à la main de milliers de traits telle une aquarelle apposée à même l'horizon », « le pinceau d'un phare lointain cisaillait l'horizon », « le pinceau des rayons nacrés de la lune se reflétait au travers du volet », « écrivant mon présent au futur », etc.

Le rythme est également intéressant : quarante chapitres composent ce roman de 449 pages, mais des chapitres courts qui, par leur alternance d'ambiance et de thème dans la narration, voire de narrateur, impriment une réelle dynamique et installent une tension dramatique qui va crescendo. J'ai bien aimé aussi cette façon si particulière qu'a l'auteur d'amener le lecteur à avoir des soupçons sur tel ou tel personnage potentiel, car tous, manifestement, ont un côté obscur et beaucoup ont des choses à cacher.

J'ai aussi apprécié, au travers du récit, la dénonciation de certaines thématiques sociétales (le manque de moyens de la police pour bien faire son travail par rapport à la surenchère de moyens dont disposent les sociétés privées de sécurité ; le plan de restructuration et d'économie de l'hôpital décidé par le gouvernement ; la pollution des touristes qui déséquilibrent la biodiversité ; les violences faites aux femmes, le phénomène d'emprise, les féminicides ; la réflexion sur l'état du monde et ses misères ; un système d'éducation à deux vitesses selon que l'on soit né pauvre ou riche…) ainsi que des points de vue sur certains faits d'actualité (la crise des gilets jaunes, le blanchiment d'argent, le voyeurisme des médias pour faire de l'audience et de l'argent, la critique des chaînes d'information en continu, la façon dont les lobbys financiers sont utilisés et récompensés, la démesure de construire toujours plus, plus haut, plus grand). Quant à la fin, pour moi inattendue, elle est excellemment écrite. Bref, un roman qui joint l'utile (on apprend beaucoup) à l'agréable (le plaisir de lire un polar).

Mon rôle de membre du jury m'impose néanmoins d'aborder également ce roman sous l'angle de ses points faibles. J'en ai relevé quelques-uns qui, à mon sens, viennent du fait qu'il s'agit d'un premier roman d'un auteur auto-édité qui ne semble pas avoir bénéficié d'un conseil littéraire ni de vraies compétences de relecture/correction offertes habituellement par une maison d'édition digne de ce nom. de mon point de vue, il est dommageable que Librinova qui édite sous son nom ce roman auto-édité – et qui se targue d'accompagner les auteurs – n'assure pas service de relecture/correction de qualité qui aurait évité d'avoir à indiquer ici ses points faibles.

S'agissant de la construction du roman, j'ai relevé une logique chronologique de flash-back pas toujours évidente (on passe de 2016 à 2017, puis on revient à 2016, pour repartir en 2017). Idem cohérence chronologique non respectée entre les chapitres 29 (2 sept 2019 – 3 h 22) et 33 (2 sept 2109 – 2 h 44) ; une réelle difficulté à se repérer dans les débuts de chapitres quand un narrateur omniscient évoque un « Elle » ou un « Il » non identifié, même si je peux comprendre que cela soit voulu pour mieux brouiller les pistes. Il n'en reste pas moins vrai que cela gêne la lecture et peut décourager d'aller plus loin. Je n'ai pas compris non plus la raison d'être des différentes citations choisies par l'auteur pour illustrer les différentes parties de son livre. Elles évoquent les différentes saisons (clin d'oeil aux Quatre saisons de Vivaldi évoquées dans le récit ou seulement pour illustrer le temps qui passe ?) ainsi que celles figurant dans le corps même du récit (Einstein, poème de S. Veil), hormis peut-être la volonté pour l'auteur de montrer l'étendue de sa culture livresque. Idem pour certaines digressions de l'auteur (qui semble vouloir se montrer à travers ses lignes) sur le parallèle entre la première impression qu'on a d'une personne et l'incipit d'un livre, ou encore sur le pouvoir des livres. J'ai trouvé que cela n'apportait rien à l'action et donc alourdissait le rythme du polar.

J'ai encore relevé quelques soucis de cohérence quand est évoquée l'arrestation et le jugement du personnage tchéchène. Même s'il y a une enquête accélérée et une intervention du préfet, il est impossible qu'une personne arrêtée soit jugée dans des délais si courts. du coup, perte de crédibilité. Par ailleurs, il est écrit qu'il est jugé par le Tribunal de Grande Instance. Je m'interroge. Dans les affaires d'homicides, il me semble que ce sont les Assises qui statuent. de même, Paul a-t-il passé quatorze ou treize années aux Stups ? Idem quand il est question de Miss Harpell : elle est une fois « une petite dame qui approche la cinquantaine » et plus loin « une jeune femme ». Une autre fois, il est question d'une « petite vallée verdoyante » et la phrase se poursuit comme telle : « ce petit bocage sec de couleur paille ». Toujours dans le registre de la cohérence : un personnage dit évoquant Thomas : « c'est à cause de lui que tout a commencé ». Pourquoi et comment ? On n'en saura jamais plus. de même, est évoquée la tempête ouragan Iris. Vérification faite, Iris est passée sur la Loire-Atlantique en 2001. Or, le meurtre de Maï Lan a lieu en 2019 et le récit a lieu au cours de cette année. Plus loin, il est question d'un « tourne-disque » où passe le disque des Quatre saisons de Vivaldi. Or, peu de lignes après, le tourne-disque est devenu « jukebox ». Il en est de même quand Hervé dit avoir visité Yuri « en prison ». La réalité du récit montre que Yuri a été visité par Hervé alors qu'il se trouvait encore « au commissariat central ». Sur ce sujet, l'ordre chronologique n'est pas non plus respecté (car cette visite a eu lieu en déc. 2018).

Et puis, faut-il le dire ? Même si la lecture est fluide et palpitante, il y a beaucoup (trop) de clichés (« ses cheveux couleur de blé », « l'écume blanche ») ; de majuscules intempestives (« Officiers », « Nazisme », « Tchétchène », « Néon », « Flash-Back », « Kitesurfeurs », « Baulois »…) ou d'absence de majuscules (Océan Atlantique, l'Atlantique, points cardinaux) ; de coquilles d'orthographe (ex : « sélecte = écrire sans accent et sans e, « événements », « tel une fourmilière » = telle ; « pareil oeuvre d'art » = pareille ; « écoles de voiles » = pas de « s » à voile ; de fautes d'accords (« pas de meilleurs endroits » = enlever les « s » ; « maximum de moyen » = rajouter « s » ; « marketing internationale » et « Haute École en Marketing Internationale = enlever le « e » ; « cette affaire n'avait rien de banale » = mettre banal ; « nous nous étions octroyés » = pas de « s » ; « elle était furieuse de la tournure qu'avait prise la soirée » = pris ; « carnet de compte » = manque « s » ; « grade qu'elle avait obtenue » = pas de « e », « troupeau de mouton » = manque « s », « un couple de touriste asiatiques » = manque « s », « un post-its » = pas de « s », « cheveux mi-long » = rajouter « s » à longs, « aient disparues » = disparu, « deux âmes-soeur » = mettre un « s » à soeurs ; « aucune des émissions…. ne diraient le contraire » = dirait ; « château de carte » = manque « s » ; de fautes de conjugaison (ex : « c'est décidé, je l'inviterais à dîner » = pas de « s » ; « l'Américaine eut du mal avec la prononciation » dire plutôt avait ; de tirets intempestifs (les particules s'écrivent de + Maj. Or, le choix stylistique d'écrire « Hervé De-Fontaine » gêne vraiment, « petit-ami », « elle-aussi ») ou leur absence (« ex homme »). Il convient aussi d'être cohérent dans l'écriture des âges, des nombres et des heures : ceux-ci doivent toujours être écrits en lettres. Idem pour « 6eme » = 6e et certaines expressions et de s'y tenir tout au long du roman : « en tout genre », « à pleins poumons », « par dizaines ». Liste non exhaustive (ce serait trop long et rébarbatif de les citer toutes) …
Cela ne gêne pas vraiment à la lecture, mais c'est difficilement acceptable dès lors que près de 20 € (pour l'ouvrage broché ou 1,99 € en ebook) sont consacrés à l'achat du livre !

De même, les acronymes mériteraient d'être précisés en notes de bas de pages (ex : VSAV, SMUR, SNSM, SRPJ, FAED…) ainsi qu'une courte explication donnée sur « l'effet cocktail party », et d'être enlevés certains détails inutiles (ex : le nombre de chevaux des moteurs de bateau).

J'ai relevé aussi l'emploi inopportun de certains verbes (ex : « conjuguer les grades » au lieu de féminiser, « ce petit whisky n'en obtenait qu'un meilleur goût » au lieu de procurer, « embaumant mon dos d'un nuage de bien-être » alors qu'il n'est nullement question d'une odeur ici, « mais rien n'émit de ses cordes vocales » au lieu de ne sortit, « un murmure de soulagement l'éprit » au lieu lui échappa ou émana d'elle. Ainsi que quelques formules exagérées ou inappropriées : « Mme De-Fontaine s'écroula au sol dans un déluge de souffrances », « ses deux mains gantées dans les entraves de cette pauvre âme » au lieu d'entrailles !

Enfin, j'ai souligné plus haut la présence de belles expressions et formules métaphoriques. Je les ai appréciées à leur juste valeur, mais je dois reconnaître que trop d'envolées lyriques métaphoriques génèrent, à terme, une certaine lourdeur (ex : digression sur le langage des fleurs) qui casse le rythme et dilue quelque peu le caractère noir du polar.

Nonobstant ces quelques imperfections formelles, je vous recommande grandement le roman de ce jeune auteur inconnu car l'intrigue policière est intéressante, l'enquête rondement menée, et la fin inattendue. Il existe chez lui un réel potentiel narratif et descriptif qu'il convient de connaître et de reconnaître et qui, à mon sens, ne peut que s'améliorer encore avec l'expérience.

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