Au marché des métropoles

Merci à l'opération masse critique Babelio pour cette lecture enrichissante, au contenu révoltant, où l'auteur rend compte d'un travail méticuleux de recherche basé sur des entretiens. Par soif de découvrir ce qui se passe dans notre monde je me suis lancée dans la lecture avec frénésie bien que le thème n'a rien à voir avec mes centres d'intérêts ou ma profession, il a donc fallu que je m'habitue au jargon de la finance. Antoine Guironnet mène l'enquête sur le MIPIM (marché international des professionnels de l'immobilier) à Cannes, qui a lieu chaque année avant le festival du film, ceci depuis 1991. J'en ignorais absolument tout. Et pour cause. Il faut faire partie du milieu pour y accéder, l' entrée coûte un smic, et il faut appartenir au monde politique ou à celui des investisseurs milliardaires, sociétés d'assurance, fonds de pension, promoteurs, architectes, sociétés d'urbanisme etc.... Tout un univers qui papillonne en quête de projets spéculatifs. On y croise donc Hidalgo, Collomb, Johnson et bien d'autres qui viennent raccoler des investisseurs. Les pavillons créés sur la Croisette et représentant les grandes métropoles ou mégalopoles valent des milliers d'euros le mètre carré, ces stands étant payer aux organisateurs du MIPIM avec l'argent public. On assiste à des conférences, la présentation de maquettes de projets immobiliers, des soirées petits fours- champagne et aux huit clos pour parler sérieusement argent et business. Cannes a d'ailleurs été choisi pour accueillir ce marché en raison de son prestige, sa taille moyenne, ses hôtels de luxe qui accueillent tout ce "beau monde"... à Paris les invités auraient été trop distraits par le brio de la capitale. C'est l'événement auquel il faut absolument assister lorsqu'on est maire d'une ville à potentiel. L'important est de s'y montrer, claquer des dizaines de milliers d'euros pour avoir un stand, maintenir une image ou en développer une... bref je le disais plus haut tapiner l'investisseur milliardaire qui vient faire ses emplettes annuelles. Ici s'expose, sans réellement aboutir à des négociations ou des contrats, tout un parc immobilier principalement européen mais aussi brésilien, japonais, russe etc... : milliers de mètres carrés de locaux professionnels à bâtir , friches industrielles à urbaniser, logements à créer (parfois sociaux) etc...mais l'important c'est d'être sûr de pouvoir spéculer. Les quartiers huppés et les villes de banlieues (rouges, le nord de Paris par exemple) sont dans la liste des territoires à civiliser. Pour faire passer la pilule les maires et autres représentants de l'urbanisme attestent que cette urbanisation permettra le ruissellement économique au bénéfice des précaires quand on est dans des banlieues déshérités ou encore qu'elle aura une dimension écologique. La belle affaire, disait l'autre ! J'ai quand même été outrée par la quantité d'argent public flambé juste pour apparaître sur ce marché international... quand aujourd'hui ça rechigne là haut à augmenter le smic, pallier l'inflation subie par les ménages qui travaillent souvent à deux et peinent à payer les factures etc...
C'est au marché de Londres que les premiers manifestants ont commencé à jouer les troubles fêtes. Puis à Cannes. Puis de nouveau à Londres. Des étudiants ont par exemple été faire la manche auprès des participants au MIPIM pour payer leur loyer puisque ce type de logement lucratif est de plus en plus dans le viseur des investisseurs.
Bref, ce livre est très intéressant, foisonnant, enrichissant. Encore merci à Masse Critique pour m'avoir fait découvrir un univers via un livre que je n'aurais jamais pensé aller acheter en librairie mais dont maintenant je parlerai volontiers autour de moi.
Toutes les citations sont référencées en fin d'ouvrage et chose peu banale on découvre que cette enquête a reçu le soutien du conseil de la recherche pour le programme Urban révolution and the polítical.
Une lecture rapide et efficace, l'auteur est clair, didactique, précis et donne ses sources. Bravo pour cette restitution offerte aux manants de notre espèce.