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Critique de flag_


Autant le dire tout de suite, kwaï ne laisse pas indifférent.
Au départ était le film de David Lean, le Pont de la Rivière Kwaï, et les souvenir des séances de cinéma en famille. Puis le livre de Pierre Boulle, dont le film est une adaptation, hérité de son père. Alors effectivement, partir. Partir pour la Thaïlande et aller voir ce fameux pont sur cette fameuse rivière, de ses propres yeux. Or, des images de la pellicule cinéma aux évocations de la vie des prisonniers de guerre qui ont réellement existé, transformés en forçats pour la construction de la voie ferrée Bangkok Rangoon il n'y a qu'un pas. Puis deux : l'évocation du conflit au sens large et de ses atrocités. Puis trois : les souvenirs épars de ses ancêtres et de « leurs » guerres.
En cent quarante pages, le beau côtoie l'horreur. On passe de contemplations lascives ou poétiques aux descriptions du pire. Parfois dans un même chapitre. Sans sommation.
Stratégies de l'impitoyable et exactions diverses sous l'empereur Hirohito, description de camps de la mort, expérimentations sur les cobayes vivants de l' « unité 731 » en Asie. L'horreur y est décrite parfois avec froideur, comme si le détachement était finalement la seule défense possible face à l'indicible. Et de constater qu'en effet « aucune civilisation, comparée aux autres, n'a plus ou moins de dispositions à la barbarie ».
Pour autant, l'art et le style de Vincent Hein fait qu'on ne sort pas de kwaï totalement abattu. En Thaïlande, les descriptions des paysages et des lieux s'étirent avec beauté et langueur, tel du riz gluant asiatique, ou comme une moiteur tropicale. Même si ici comme ailleurs, le poétique le dispute au cynisme, opposant la beauté du monde aux touristes français qui où qu'on aille s'habillent tous en Décathlon, aux réceptionnistes du bout du monde en Birkenstock, ou aux écolières thaïlandaises aux cartables Hello Kitty ou La Reine des Neiges.
Ailleurs encore, qu'il égraine avec gourmandise sur trois pages des lignées de botanistes célèbres, ou qu'il divague superbement pendant un demi chapitre sur les différents styles de pluie, Vincent Hein est également un artiste de l'énumération. Comme s'il psalmodiait des évocations du beau en guise de cataplasmes sur ses maux. Pour reprendre souffle. Reprendre foi.
Mais alors, pont de la rivière kwaï, prisonniers de guerre et « travailleurs esclaves », horreurs de l'histoire, description familiale, souvenirs de jeunesse, … au milieu du gué de ce mélange doux amer, on ne peut que ressentir le malaise du promeneur égaré en pleine forêt tropicale. Pourquoi cette attirance systématique de l'auteur, comme aimanté, aux vestiges de l'horreur érigés en musées aux quatre coins du monde ? « Qu'avais-je fait de mal dans ma vie  ? Je veux dire de vraiment très mal, pour finir ici, le cul posé sur un carton de nouilles déshydratées ? »
Sans déflorer l'épilogue, rassurons ceux qui en éprouveraient le besoin : tout se décante en fin du récit. Et on referme ce court opuscule fort joliment relié (et illustré d'une poignée de photos, comme preuves que l'on a pas totalement rêvé ce que l'on vient de lire), avec la satisfaction d'avoir lu un récit beau et fort.
Un livre sur l'humanité, sur l'héritage, sur ce que l'on garde et ce que l'on enfouit.

Remerciements aux éditions Phébus, ainsi qu'à Babelio.
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