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Critique de Dessert


La verticalité, enfin l’écriture verticale semble être l’espace que s’est choisi Hervé Bougel. On se souvient de TRAVAILS (éd LES CARNETS DU DESSERT DE LUNE) constitué de forages dans les profondeurs de la mémoire. Dans LES CONTINENTS, la verticalité (si l’on m’autorise cet hugolisme ?) marque l’horizontalité quasi sans fin des rails : il faudrait s’imaginer lire, si cet objet était matériellement possible, un livre aux pages d’au moins un mètre de long ne comportant qu’une seule ligne scandée de slash. Autre différence (je simplifie) : TRAVAILS c’était le passé, ce qui s’impose à nous : on ne choisit pas son passé (je vous rappelle que je simplifie) ; LES CONTINENTS c’est le présent, (c’est nous qui en donnons les points de départ et d’arrivée). Donc LES CONTINENTS est un livre au présent même lorsqu’il convoque le passé « Jeudi 11 octobre / Vigne rouge / Et pendue / Au remblai / Maïs cisaillé / Sureau dégorgé / Acacias / Tronçonnés / Je reconnais tout / Poulets frits / Et fenils / Caravanes / Rouillées / Clapiers/poulaillers / Au long des voies / Triste et beau / Pays de ma jeunesse… » Hervé Bougel parcourt en train les campagnes, les banlieues, des paysages qui mènent à Rennes, Marseille, Namur, Grenoble, Brest, etc. « Quel est ce pays / C’est nous / Arbres / Des platanes… ». Ses yeux parcourent l’intérieur des wagons « Le contrôleur / Barbu chauve / S’appelle / Barnabé…/ une dame aveugle / Des bras / Des mains / De poupon / De celluloïd / Tenus devant elle… ». Ses yeux parcourent ses pensées, ses illusions, ses désillusions, sa mélancolie. Hervé Bougel parcourt ses « continents». Ah ! encore : ce livre est une boucle géographique (Najac/Laguépie) et temporelle (un an) : c’est son côté Perec à Hervé Bougel (un an c’était aussi la contrainte temporelle choisie pour ses PETITES FADAISES A LA FENETRE et l’immobilité sa contrainte physique) : « Montre en main / J’ai parcouru / Mes continents / Au cours / D’une année / De neige / De pluie / De feuilles ardentes…Je ne tiens pas / En place / Alors je m’absente… »
© Christian Degoutte in Revue Verso

Observateur du monde (il le fit excellemment à partir d'une fenêtre dans "Petites fadaises à la fenêtre", 2004, ou encore en publiant sous le même angle des photos vérité de passants dans sa ville), il poursuit cette tâche poétique et sensible, cette fois à la vitesse et à la lumière des trains.
Vivacité, rythme soutenu, éclats, éclairs, vers d'un ou deux ou trois mots le plus souvent illustrent cette poétique très verticale d'un périple à tout berzingue (si on plagiait le road-movie de Kerouac), déroulant image, sensations, rencontres, impressions, dans le roulis des machines et des compartiments. le tour de France de Bougel a la bougeotte et ses vers une vérité non feinte. La lucidité, le passage en revue des têtes, des visages, des usages emmaille pour le lecteur un flot de réseaux de sens :
"Je lis les caténaires
Et le plomb fondu
Des rails
Je vois bien des feuilles
Tombées
De cet automne
Et de l'air et du vent
En proie
A ce qui se passe
Ce qui étreint
Et me lie
Me ligote..."

Selon l'effet de création (maraboutdeficelle etc.), le poète enfile les faits, les situations, jongle avec le signifiant, interfère sans cesse dans ce flux du langage, relayant là et bien le mouvement de la vie et des trains.
Au train où vont les choses, ces poèmes verticaux (d'habitude, je ne suis guère fan de la chose, et ça n'a pas plu à l'auteur de ces vers, je le comprends mieux maintenant) ont l'aisance et la fluidité du vécu, de la vitesse, et dirais-je, quitte à écorner les concepts de l'auteur, de la ferveur pour le monde :
Mercredi 20 octobre
Quittant
Enfin
Toujours
Grenoble
Taille-la-Ville
Et sa gare
égarée
Le bleu
Choit derrière
Le Vercors
Inondant
La marée
Des souvenances
Noyées
Jusqu'où iras-tu
Nager
Lac profond
Passe grise...
Le titre "Les Continents" renvoie aux mondes que l'observatoire d'un train décèle, recèle, offre à la vision, à l'écriture, à l'appréhension phénoménologique du monde.
Beau livre.
© Philippe Leuckx in Bleu d'encre N°39

Les poèmes sont avant tout verticaux. Quelques mots, quelques signes, par vers. Cet abîme, cette chute donne un rythme, une vitesse à la lecture. Les mots cognent au ballast. On est dans le train avec Hervé Bougel. Les continents sont les trajets qu'il effectue en une année. Vosges, Nord, Belgique, Dauphiné, Bourgogne, Bretagne, Val de Loire… Comme le dit très justement Jean-Louis Jacquier-Roux en préface, il y a ce qui passe par la fenêtre qu'il note avec ce langage suspendu et haché, et ce qui passe dans le compartiment ou le wagon. Les deux univers se croisent. Avec ce que ça peut évoquer, les souvenirs du père : Chercher / Par nos Vosges / Comme une idée / de moi-même / Comme une idée / de lui-même… les souvenirs de soi : Je voyage / En mes terres / Mes dérisoires / Enfantillages… La mer en fond de tableau est constamment présente. Tout est consigné à la pointe sèche. Hervé Bougel l'écrit par deux fois : Les sentiments / Ordinaires / Et confus… Et le recueil entier tend à cerner ces deux qualificatifs qui baignent l'existence."
© Jacques Morin, mars 2018

Cliqueticlac
Ce recueil de dix-sept poèmes comme autant de voyages en train à travers la France et la Belgique mais surtout à travers la mémoire de l'auteur comme le suggère le rédacteur de l'avant-propos, Jean-Louis Jacquier-Roux, : « il voyage plus à son aise dans ses rêves, dans ses souvenirs et dans le vif de ses pensées qu'au gré de la réalité banale d'un Paris-Lyon à quinze euros… », évoque pour moi une célèbre comptine que nous chantions à nos enfants quand ils étaient tout petits. Les vers d'Hervé Bougel ne comportent que quelques pieds : trois, quatre, cinq, six, rarement plus, ils rythment les poèmes comme les « cliqueticlac » scandaient la comptine qui est remontée à ma mémoire :
Cliqueticlac
« J'ai parcouru / Les continents / Ce train avance / Dans un clair obscur / Dépassé / Outrepassé…. »
Cliqueticlac
Ainsi, en l'espace d'une année, du 20 juillet au 24 juillet de l'année suivante, je suppose car rien de l'indique, le poète a parcouru de long en large, en travers, en grande vitesse, en petite vitesse au gré des trains qu'il pouvait emprunter, la France profonde et la Belgique tout aussi provinciale, la campagne aux noms chantants qui donnaient un peu de musique à nos cours de géographie. Son voyage commence à Najac/Laguépie et le ramène à cette même gare après avoir visité Namur et Charleroi, Voiron et Grenoble et bien d‘autres gares au nom fleuris. le poète se régale de ses noms qui chantent, donnant de la couleur à son voyage.
« Je désire traverser / La province / La belle jaune/ Meuse / À jamais / Endormeuse / Puis / Namen / Ottignies / Et Gembloux… » Où il peut saluer un autre poète :
« Sur les doutes / Et les espérances / de William / Cliff l'ancien / Jeune homme / Traînant… »
Mais le voyage ce n'est pas que les gares, c'est aussi les paysages qui défilent, les passagers qui se pressent, un spectacle permanent qui s'offre au regard.
« Je ne vois plus / Ni le ciel / Ni l'avenir / Maisons de terre / Tordues / Tours de Pise/pisé / Ici au long / Des voies / La vie est si vite / Épuisée… »
Ainsi, au rythme d'une comptine, le poète nous fait visiter les dix-sept continents de son recueil, comme autant d'expéditions ferroviaires, laissant défiler les images, sans que nous ne bougions même le plus petit de nos orteils.
© Denis Billamboz in http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/53083
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