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Critique de Contributeur


De l'eau avec un bouillon de poulet, une tranche de pain de mie séchée, des clips de Sonic Youth sur Youtube, des restes de chips au fond d'un paquet bruyant, une vague idée de l'avenir. Je fermais les volets pendant que je l'imaginais à la vaisselle, les mains gantées Mapa rose dans la mousse, son petit air fidèle et sa blouse fleurie qui saucissonnait ses formes de femme à l'orée du précipice. Je profitai du bruit rassurant des graviers sous mes grolles, mêlé à celui du vent vicieux venu de l'est avec son lot de nuages lourds et de mauvaises nouvelles. J'avais de la colère. Tu vas voir. Tu faisais ce que tu voulais à cette époque-là. Tout le monde possédait les mêmes meubles, les mêmes bagnoles, les mêmes vies de merde. J'étais à L.A. et j'étais à Paris, et j'étais à Tokyo. Quand j'enfilais la fraise et les semelles couvre-chaussures, j'avais l'intuition que c'était bien pire qu'une centrale nucléaire. Minutieusement, silencieusement, chacun s'appliquait à modeler les rafistoles testiculaires et les mamelles androïdes. Se taire, faire, ne faire la pause que 15 minutes par demi-journée. S'appliquer, modeler, construire, adapter… Trancher la vie dans le lard, jour après jour pendant que d'autres trifouillaient la bedaine, rehaussaient le viandard, maximisaient l'appareil génital à défaut de savoir s'en servir. Je n'avais pas su beaucoup plus qu'eux, mais j'avais fait usage en toute honnêteté, sans falsifier, j'avais échoué dans des femmes avec la franchise du raté. C'était là, dans ces vestiges industriels que je pourrais parachever mon idylle avec Corinne, ma salope, ma maman, ma maîtresse, ma mamie. Une heure après avoir été viré, j'étais parvenu à choper un double des clefs. Des mois de chômage, de pensées en rond, en carré, ne m'avaient pas fait oublier l'usine… C'était un hangar blanc estampillé des lettres PROTHESES SA. J'ouvris la porte de derrière, celle des « artistes » où nous enfilions nos tenues de travailleurs du faux-sexe. J'avais Corinne dans la paume de ma main gauche. Je serrais le noeud sur ses poignets sanglés. Elle pleurait encore, toujours, et parfois, elle ravalait sa morve. Baby décousue, baby démontée, baby tendresse mais je lui racontais encore les souvenirs de l'usine. Pour ma part, je parlais du bocal aseptisé dans lequel j'étais enfermé chaque jour à manipuler des testicules artificiels... Atomisé par... l'air conditionné, les filtres, un peu comme si nous étions hors-monde, qu'une guerre nucléaire était tombée sur la croûte terrestre, mais que nous continuions à fabriquer des prothèses... Réparer l'imperfection, la maladie, le déséquilibre entre les performances derrière l'écran et les contre-performances du spectateur face à l'écran... J'attendais, je présume, que la mort nous sépare du travail, de l'obligation de payer ses factures...
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