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04 janvier 2022
Eclairages pour une route toujours ouverte aux possibles

Mahmound Hussein est le pseudonyme commun de Bahgat El Nadi et Adel Rifaat. Par commodité je dirai l'auteur.

Trois remarques préalables.

Je ne discuterai pas sur le fond des Lumières occidentales évoquées par l'auteur, ni des Lumières arabo-musulmanes d'Avicienne puis d'autres comme le mouvement de « Renaissance » (Nahda) , ni des Lumières juives du Yiddishland. Ces mouvements, au delà de leurs limites ou contradictions, ont ouvert les champs de la pensée et de nouvelles appréhensions de l'émancipation. Il serait intéressant de comparer cela avec d'éventuelles manifestations dans les mondes asiatiques.

Le second point que je laisserai de coté concerne la « condition » religieuse des membres de Daech. Nous ne sommes pas obligé·es de prendre pour argent comptant leurs références à l'Islam, au Prophète. Par ailleurs les faits religieux ne peuvent être pensés uniquement d'un point de vue spirituel. Comme le soulignait Maxime Rodinson, le rôle d'une religion en tant qu'idéologie (mobilisatrice ou non) ne peut-être pensé indépendamment des rapports sociaux et de leurs perceptions.
Enfin, je m'éloignerai du livre pour essayer de synthétiser des réflexions plus générales à partir des analyses proposées dans le livre.

« Daech lance aux musulmans du monde un défi d'ordre idéologique ». Mahmound Hussein ajoute, qu'au delà de la révolte vis à vis des actes de cette organisation, quelque chose retiendrait les musulman·es « d'opposer à son discours une réfutation tranchée, cohérente, définitive, sur le seul plan qui compte pour la délégitimer, le plan théologique ». Cette injonction à dire me semble discutable. Les populations considérées ou se considérant comme musulmanes peuvent légitimement appréhender les crimes de daech comme n'importe quels crimes comme l'humanité, c'est-à-dire concernant l'ensemble de l'humanité. Il y a bien des liens entre des Etats et les groupes se revendiquant du « djihad » armé, entre appareils religieux institutionnels ou non et milices, entre des prédications et des actions, mais tout cela n'entraine, en aucune façon une responsabilité collective des musulman·es. La « capillarité » entre le quotidien des musulman·es et les injonctions prédicatrices et guerrières n'est qu'un procès d'intention.

L'auteur discute des facteurs favorisant la naissance et le développement de daech – des facteurs externes et des facteurs internes au monde musulman, d'histoire et de certaines conceptions figeant l'interprétation des textes, du potentiel de libération inclus dans les religions monothéistes et dans l'islam en particulier (ce qui explique en partie les diffusions de ces paroles – « espace de conscience nouveau », révolution des mentalités et libération des énergies, etc.), des substrats spirituels et moraux, des superstitions et des préjugés. Il convient d'y ajouter les intérêts propres au groupe des « prédicateurs religieux », les intérêts politiques de ceux qui gouvernent. L'édifice théologico-politique ne se réduit pas au théologique.

Il insiste, entre autres, sur les positions des dirigeants nationalistes, les régimes autoritaires et anti-démocratiques, l'espace théologique laissé en friche, le bâillonnement des idées, la construction d'une heure de la revanche, « Celle-ci sonnera effectivement, lorsque l'Etat séculier antidémocratique, de plus en plus policier et corrompu, commencera à perdre le soutien des populations », le quotidien vécu comme désillusion et le report « sur l'au-delà » des espoirs brisés de « l'ici-bas ».

L'auteur revient sur la lutte contre l'occupant « soviétique » en Afghanistan, l'armement et le financement des « moudjahidine », le soutien des dirigeants saoudiens dans la diffusion du wahhabisme. Mahmound Hussein souligne, entre autres, les conséquences de l'occupation de l'Irak, « une gigantesque et sanglante recomposition confessionnelle et tribale du pays », les effets du « régime de destruction et de mort » de Bachar al-Assad, l'annonce du califat, « Daech annonce au monde qu'il est à la fois le glaive porteur de ce châtiment et la cité terrestre où la loi de Dieu ouvre à nouveau les voies du paradis »

Mais ici aussi, il convient de ne pas simplement penser théologie mais plus globalement intérêts matériels, gestion politico militaire de territoires, usages très modernes des images (décapitations publiques par exemple). Toujours est-il qu'il y a indéniablement développements de « courants ultrapuritains ».

Des courants réactionnaires se sont développés au sein du christianisme, du judaïsme et dans des espaces religieux non-monothéistes, sur les espoirs brisés de « l'ici-bas », la destruction des espaces de délibérations démocratiques et de socialisation collective sous les coups de butoir des politiques néolibérales, combinés ou non avec des nationalismes agressifs, imbriqués ou non avec un positionnement revanchard des masculinistes et des suprémacistes racistes. La phraséologie fondamentaliste est d'autant plus agressive, que des mouvements féministes ou plus généralement pour l'égalité ne désarment pas. Par ailleurs, mais cela est un autre débat, la désacralisation et la sécularisation s'accélère à travers le monde. Il ne faut pas confondre les sentiments religieux ou pieux, les pratiques culturelles, avec les expressions des institutions et des clercs.



La partie la plus intéressante du livre a trait à l'entreprise daech « au nom de l'islam », sa prétention à représenter un islam vrai, et plus généralement l'histoire de la construction de l'islam. Pour l'auteur, « les musulmans ne peuvent donc pas se contenter d'une condamnation de principe… ils se doivent de contre-attaquer en cette qualité, et ce faisant de mettre au jour les contours d'un autre islam, fécondé par les valeurs de l'humanisme… »

Un des freins mis en avant par l'auteur reposerait sur « un consensus qui va sans dire : le Coran contient toute la vérité et rien que la vérité. Il n'y a donc qu'un islam possible ». Mahmound Hussein rappelle que la « compréhension directe du Coran étant hors de portée de tout un chacun, son interprétation courante repose sur l'autorité de chefs religieux respectés et sur le prestige des traditions locales ou nationales » et que par ailleurs le rapport des musulman·es au religieux « quand il existe, est personnel et privé. Croyants ou pas, pratiquants ou pas, ils se définissent d'abord comme individus et comme citoyens ». C'est un des éléments de la sécularisation que j'ai évoqué précédemment.

Il n'y a pas « qu'une figue unique de l'islam », mais dans le passé comme aujourd'hui des figures différentes, « Divergentes, voire opposées, parfois même ennemies ». Deux questions sont posées par l'auteur : « Qu'est-ce qui, dans les textes fondamentaux de l'islam, autorise de telle divergences ? Qu'est-ce qui, dans les textes, autorise Daech à se réclamer de l'islam ? »

Mahmound Hussein analyse la constitution du corpus religieux, les différents niveaux des textes, « C'est pourquoi le texte coranique entrelace des commandements métaphysiques, eschatologiques, rituels, et des préceptes légaux et comportements dans le contexte social et culturel de l'Arabie du VIIe siècle », les avancées sociales et juridiques, les limites morales, et l'inscription de pratiques concrètes et politiques variées et variantes (historicisation).

Des paroles, une révélation transcendante. Pour le Prophète. « Il ne confond donc jamais la Parole de Dieu et la sienne propre, qui est faillible comme celle de tout humain et qu'il appelle ses compagnons à critiquer quand elle leur semble erronée ». Un guide spirituel et un homme d'action, un chef de guerre et un homme « politique » (même si l'expression est anachronique).

L'auteur aborde le « djihad », la propagation d'une parole « synonyme de libération », la nouveauté, les comportements, les circonstances et leurs traductions, la légitimation par des lectures composites et contradictoires, « Si, au long des siècles, tant de régimes différents, voire concurrents, ont pu se prévaloir du Coran et et des hadiths, c'est en privilégiant tel ou tel moment de la Révélation, telle ou telle de ses dimensions, telle ou telle de ses résonances, par rapport à d'autres ».

Mahmound Hussein décrit la lecture atemporelle des textes par les idéologues de daech, la séparation (et la primauté) du céleste sur le mondain, la sélection de références coraniques et prophétique visant « à donner à l'islam un visage anti-humaniste, apocalyptique et terrorisant », l'insistance sur l'infidélité, la négation du cadre spatio-temporel des règles sociales établies…

L'auteur aborde, entre autres, les enseignements intemporels et les prescriptions temporelles, le dogme de l'imprescriptibilité coranique, le regroupement historique des versets (et sa forme officielle définitive deux siècles après), l'ordonnancement des versets, les obstacles à intelligibilité, les grands courants théologiques, les politiques des grands califes, « Les grands califes ont choisi d'assumer cette puissance en faisant pari de l'intelligence. Ils cherchent à s'approprier l'ensemble des savoirs antiques, y compris les savoirs profanes, puisés dans le patrimoine de la philosophie et de la science grecques, qu'ils font traduire en arabe », le courant des mu'tazilites, le dogme de la prédestination, les cadres de pensée où « l'au-delà écrase l'ici-bas », l'affrontement entre « rationalistes » et « traditionalistes » tranché à la fin du IXe siècle en faveur des seconds, la fermeture des « portes de l'Ijithad », l'imposition du Taqlid (« répétition indéfinie des réponses arrêtées une fois pour toutes »)

Des penseurs au cours du XXe siècle ont interrogé l'historicité de la manifestation terrestre de la « source divine de la Révélation », l'imbrication d'u message divin et d'une histoire humaine, la conjugaison de la foi avec l'intelligence du monde, la compréhension située des versets (dont ceux dictés par les circonstances), la notion du temps dans le Coran, la non confusion entre la « parole de Dieu » et « Dieu lui-même ».

Les dispositifs éthico-juridiques ne peuvent être érigés en absolu, les « exigences morales » issues de l'histoire et de la pensée ne peuvent être écartées au nom du dogme, chaque individu doit être considéré comme en position de comprendre et de choisir et non d'aveuglément obéir, « la parole vivant, qui éclaire les pas du croyant sur une route toujours ouverte »…



Des féministes musulmanes ont poursuivi plus loin les analyses sur l'historicité des textes et des dogmes, sur le sens égalitaire des prescriptions et sur les inscription temporelles de celles-ci, sur les exigences morales et religieuses. Elles ont contribué et elles contribuent (comme d'autres femmes dans d'autres inscriptions religieuses) à construire des cadres de compréhension pour toustes les croyant·es.

Dans un autre cadre de pensée – strictement a-religieux, il est possible d'interroger radicalement l'histoire humaine, la création de dieu, les prophètes mythiques et les prophètes inscrits dans des civilisations réelles, les écritures et leurs sens (Toute écriture se démarque du réel, tout énoncé adopte un point de vue), les contraintes liées aux cadres socio-intellectuels (sans déterminisme réducteur), les intérêts des pouvoirs religieux (imbriqués ou non aux pouvoirs temporels), la place des mots et de la poésie dans l'espérance…

Des analyses légitimes, la liberté de pensée et la liberté de conscience de toustes, la nécessaire séparation des pouvoirs institutionnels religieux et des pouvoirs politiques (qui prennent des formes différentes en fonction de l'histoire), etc.

Tout cela devrait s'énoncer dans le respect des sentiments, des aspirations, des religiosités ou de leur absence…


Lien : https://entreleslignesentrel..
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