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Critique de 5Arabella


Ecrite en 1886 et créée en 1887 à Bergen, la pièce est jouée assez rapidement en France, en 1893, mais elle ne figure pas parmi les oeuvres de son auteurs les plus connues et les plus représentées.

Nous sommes à Rosmerholm, une belle propriété, qui donne son nom à la pièce. Son propriétaire, Johannes Rosmer, un ancien pasteur, a abandonné la carrière ecclésiastique après la mort tragique de sa femme, Beate. Il vit avec l'ancienne dame de compagnie de celle-ci, Rebekka West. Son grand ami et frère de Beate, Kroll, survient. Il demande à Rosmer de participer à un journal conservateur qu'il veut lancer, pour défendre des points de vue à l'opposé du progrès. Rosmer lui avoue qu'il ne partage plus ses convictions, qu'il a perdu la foi, et qu'il veut au contraire appuyer les progrès sociaux du pays. Kroll en est très fâché. Rosmer veut aller plus loin : affirmer ses nouvelles convictions, voire participer à les défendre. Kroll se montre menaçant, et tente de déstabiliser la relation de Rosmer et Rebekka, qu'il pense responsable de la situation. Nous apprenons peu à peu des choses sur la mort de Beate, qui s'est suicidée, la responsabilité de Rebekka dans ce suicide, apparaît progressivement. Mais Rebekka refuse l'offre de mariage de Rosmer, qui lui aurait pourtant permis de réaliser ce qu'elle semble s'être donné comme objectif : devenir la respectable et riche nouvelle Madame Rosmer. Kroll lui fait par ailleurs des révélations sur ses origines, qui l'affectent énormément. Rebekka tente de s'enfuir, mais au final, elle va se suicider avec Rosmer, dans le même torrent où est morte Beate.

Il est en réalité impossible de résumer cette pièce, tant elle est complexe et tant tout résumé ne peut être qu'une interprétation. Il y a un aspect social et politique : une opposition entre une sorte de conservatisme étroit et rétrograde et une possibilité de transformer la société. Kroll a un aspect très inquiétant, prêt à tout pour promouvoir sa vision du monde, y compris à démolir quelqu'un qui est censé être son ami, en mentant, exagérant, voulant anéantir quasiment l'opposition. Mais le camp adverse n'est pas plus glorieux : Peder Mortensgard qui le représente est une crapule opportuniste, prêt à déformer la vérité pour en retenir ce qui va lui servir. Il s'agit juste d'une lutte pour le pouvoir, dans laquelle tous les moyens sont bons.

Mais la pièce aborde aussi des aspects plus psychologiques, d'une façon très approfondie. Ils y a ce que disent les personnages, ce qu'ils veulent faire croire, ce qu'ils croient eux-mêmes, et la réalité, qui se dérobe et qui semble toujours insaisissable, aussi bien sur les faits que sur les motivations et les ressentis. Beate, présentée d'abord comme une femme malade, semble avoir été au final une femme manipulée : son incapacité à avoir des enfants, que Rebekka exacerbe, les mensonges éventuels de Rebekka (a-t-elle fait croire à Beate qu'elle attendait un enfant de son mari? ), ses rapports avec son mari pour le moins ambigus. Rosmer, qui se présente comme un homme idéaliste, souhaitant sublimer la passion dans une volonté de dépassement spirituel, apparaît au final comme un être faible, sans doute impuissant, et qui a probablement contribué à la mort de son épouse.
Mais le personnage le plus complexe et le plus ambigu est sans conteste Rebekka. Une sorte de sirène séductrice, capable de se battre par tous les moyens pour ce qu'elle veut, immorale, sensuelle, manipulatrice, mais en même temps très libre, intelligente, faisant éclater les cadres étouffants d'une morale étriquée et hypocrite. Elle rayonne comme un soleil noir sur toute la pièce. Mais elle a ses zones d'ombre et fragilités, et les révélations involontaires de Kroll vont l'anéantir lui dévoilant des choses sur elle-même qu'elle ne voulait pas connaître.

Et il y a aussi dans la pièce une dimension symbolique, entre les chevaux blancs qui annoncent la mort, et la propriété qui donne son titre à l'oeuvre, décorée de portraits d'ancêtres, un lieu mortifère, où le passé pèse et attire vers le néant ceux qui y vivent. La tragédie semble inévitable dans ce cadre, où les maléfices suintent des murs, et noient les vivants, quelle que soit leur vitalité.

Une très grande oeuvre.
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