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Critique de vibrelivre


Le colis, The parcel, 2016
Anosh Irani
roman traduit de l'anglais (Inde) par Mélanie Basnel, 2018
Philippe Rey, 332 p


C'est un roman qui met mal à l'aise de par son sujet.
le narrateur, Madhu, est une hijra, c'est-à-dire une femme née dans un corps d'homme, qui a gardé le prénom que lui ont donné ses parents. Elle appartient au troisième genre, et pour cela elle est très mal acceptée par son père, qui tient plus à sa dignité qu'à son fils ; sa mère ne se manifeste pas, et même à la fin du livre, ne la reconnaît pas et la prend pour une mendiante. Séparée de ses attributs masculins à 16 ans, prostituée, puis chanteuse-danseuse, puis mendiante, elle est au service de Gurumai, sa guide, celle qui est venue la chercher chez elle pour lui dire qu'elle s'occuperait de tout si elle passait du côté des hijras.
Autrefois les hijras, ou eunuques, étaient traitées avec considération, et même avant l'indépendance de l'Inde, il n'était pas rare qu'elles deviennent les confidentes des femmes blanches chez qui elles étaient domestiques.
Madhu a 40 ans, son visage flétri - si flétri que ce n'est plus une face et donc elle ne peut plus la perdre - est repoussant, elle est l'ami d'un homme qui fut son premier et seul amour, elle s'occupe d'un colis, à savoir une fillette de 10 ans, vendue par sa tante -eh oui c'est souvent une femme qui vend la fille- pour devenir esclave sexuelle. Elle préfère que ce soit elle qui prenne soin des colis venus du Népal essentiellement, de façon à ce que leur initiation se fasse avec le moins de souffrances possible. Elle, leur apprend à dissocier l'âme du corps, ce corps qui sera souillé, de 10 à 15 fois par jour. Pire, elle leur fait voir qu'elles ne sont rien. Atroce révélation. 3 ans plus tard, elles ont vieilli considérablement, agitées de troubles nerveux. le gouvernement ne fait pas grand-chose pour que les choses changent, soit il y a les Mary, ces femmes charitables qui voudraient au moins voir l'hygiène respectée, et ironiquement Madhu se sent utile parce qu'elle permet à ces femmes blanches de bien dormir.
L'action se passe à Bombay, plus précisément dans son quartier rouge, Kamathipura, à qui les kamathis, ouvriers et artisans donnent leur nom, et qui va disparaître, les promoteurs sont là. Ce rouge quartier, où le sang se déverse, est une immense cage sans barreaux où les putes, dépouillées de leur nom et qui devraient l'être de leur passé, vieillissent vite. Leurs enfants sont tenus sous le lit pendant que leurs mères travaillent. Ceux qui naissent dans ce quartier savent au moins qu'ils n'ont pas besoin de chercher à être aimés, ce qui fait leur force.
Tandis qu'elle s'occupe du colis, Madhu évoque ses souvenirs et ses soeurs de souffrance, qui se shootent à l'héroïne pour tenir le coup, et pensent que si elles sont rejetées, c'est qu'elles ne valent rien. Elles ne peuvent s'échapper du quartier où elles sont, surveillées constamment. Certaines d'entre elles sont positives, et avant de mourir, vont contaminer la ville comme une sorte de revanche. On croirait lire Les liaisons dangereuses en Inde ou voir des Nana dans Kamathipura. S'il y a de la prostitution, et dans sa rue c'est presque 5000 filles qui vendent leur corps, c'est pour permettre aux autres femmes de ne pas être agressées par les hommes. Les hommes qui sont montrés dans toute leur violence, et qui violent encore et encore sans qu'ils en éprouvent du remords.
A Khamatipura, il vaut mieux ne pas avoir de conscience. Mais il est difficile d'oublier le passé et de ne pas penser qu'on aurait pu mener une vie normale, si toutefois on avait été aimé. On se prend à croire que les parents nous reprendraient pour faire de la famille une famille complète, comme quoi l'espoir s'accroche. Quant aux filles vendues, quand bien même elles n'ont pas été touchées, les parents, sous prétexte de souillure alors qu'eux les ont vendues comme esclaves sexuelles, les rejettent.
C'est un roman réaliste, sans pathos, qui ne nous épargne rien. On est dans le sordide. Dieu merci, une rédemption semble être possible.
Comment Anosh Irani, né en 1974, qui a grandi en face de Kamathipura, et résidant à Vancouver, est-il reçu dans son pays natal ? Son livre est tellement éprouvant que je n'ai pas été sensible à sa poésie. En revanche, il a un talent certain pour les comparaisons.
Vraiment, le sujet de ce livre est dur, et la condition des filles encore plus.

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