Axl et Béatrice sont un couple âgé, vivant dans un village troglodyte où ils sont relégués dans un habitat périphérique, laissés sans lumière par les autres villageois. Peu à peu se dévoile le phénomène d'amnésie qui touche les habitants de la contrée : tous vivent un présent permanent, sans mémoire du passé – ancien ou récent. Chaque événement vécu se dissout aussitôt dans ce que Béatrice nomme « la brume ». Cependant, pour les héros, émergent peu à peu quelques souvenirs, suffisants pour leur faire songer qu'ils ont peut-être un fils quelque part, adulte, et pour les conduire à partir le retrouver.
Peu à peu, Ishiguro dévide l'écheveau de sa réflexion à travers son stratagème narratif. Cette mémoire perdue, que les héros veulent peu à peu retrouver, contient-elle réellement quelque chose de beau ? Recouvrer ses souvenirs, est-ce réellement désirable ? La mémoire perdue ne cache-t-elle pas plutôt des horreurs ? L'amour d'Axl et Béatrice est-il si pur ? Et au fond qui sont-ils réellement ?
Ils rencontrent au cours de leur quête le guerrier Wistan, puis Sire Gauvain, neveu du roi Arthur. La question des mensonges, des manipulations qui peuvent se cacher sous cette « brume » d'oubli s'ajoute à la question du seul oubli en tant que tel. Ainsi la brume ne fait-elle pas que dissoudre le souvenir, elle cache aussi les mesquineries, voire les haines.
Comme souvent chez Ishiguro, ce roman présente l'humain comme un être fondamentalement seul. Animé en apparence des meilleurs sentiments, il se révèle à lui-même comme trahissant ses propres idéaux, et par là même, trahissant les êtres qu'il croit aimer. L'amour se révèle n'être pur que furtivement, et semble impuissant à dépasser l'égoïsme, qui semble pour l'auteur à la racine même de l'humanité.
De la même façon, si l'oubli cache la haine, cette hypothèse survient, incarnée dans la décision arthurienne : ne vaut-il mieux pas rendre les hommes oublieux de tout, aveugles et sourds à eux-même et aux autres, plutôt que les laisser être le fruit de leur histoire, un fruit qui ne peut qu'être pourri ?
Ainsi le mal chez l'homme n'est-il pas seulement à l'oeuvre dans l'histoire des relations inter-individuelles, mais dans l'histoire entière de l'humanité, et la mémoire est l'insidieuse garante de sa pérennité.
Un grand roman, sans aucun doute, d'un auteur fondamentalement et radicalement pessimiste.
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