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Critique de HordeDuContrevent


La couverture attire par ses couleurs, ce ciel violet intense surplombant la montagne enveloppée d'un dégradé de rouge, couleurs quelque peu inquiétantes cependant, irréelles, comme saturées…Le livre est en réalité sombre, auréolé d'une pâle lumière osseuse, outretombesque. Un huis-clos polyphonique aux accents gothiques dans lequel le fantastique est prétexte pour décortiquer au scalpel l'âme humaine et analyser les effets de l'enfermement. Une écriture hors-norme qui force l'admiration et une structure narrative excellente. Un livre qui secoue, bouscule, met mal à l'aise, envoute. Clairement, il donne à réfléchir. Un coup de coeur totalement inattendu !


Ce livre, éloigné de mes lectures habituelles, est venu à moi aux détours de hasards bienvenus. Un nouvel abonné, une liste riche sur sa page au titre inquiétant « Lectures cauchemardesques pour l'automne : frisson et horreur garantis ! », me voici à la dérouler par pure curiosité ne lisant jamais ce genre de livre, et là cette couverture qui attire le regard. Un clic sur l'auteur, Salomon de Izarra, pour apprendre qu'il prépare une thèse de doctorat sur l'enfermement (d'où son autre livre intitulé « La camisole »).
Et une histoire particulièrement énigmatique, voyez plutôt : A la veille d'une nouvelle guerre, en 1936, un train traverse les Vosges mais n'arrivera jamais à destination. Il déraille et de la carcasse encore fumante, alors que la nuit tombe, trois survivants trouvent refuge dans un petit village abandonné en pleine forêt au milieu de nulle part, dans lequel le silence est palpable et particulièrement lourd. Accueillis par le Maire, harcelés par des créatures mystérieuses, « ces choses » comme ils les appellent, ils sont pris au piège, enfermés tous les quatre dans la mairie sans possibilité de fuite. Il faut dire que ces montagnes, avec ses vastes forêts, ses hameaux isolés, sa rigueur climatique, offre un cadre parfait pour basculer dans le fantastique saupoudré d'une petite pointe d'horreur. Juste ce qu'il faut pour nous tenir en haleine même si l'essentiel n'est pas là.

Le roman est choral, chaque chapitre donnant la parole alternativement à quatre protagonistes, qui par le biais d'un journal intime, qui par des lettres écrites à une meilleure amie, qui via un enregistrement audio, qui par les simples pensées. Des moyens de communication qui ont chacun leurs codes, leurs particularités, leurs figures de style.
Ce temps de l'enfermement est temps d'introspection, de remontée des souvenirs, aussi bien ceux des douces réminiscences que ceux des glaçantes résurgences. C'est un temps pour raconter sa vie alors que nous réalisons que la fin est peut-être proche. L'enfermement est le temps de la sincérité et de la mise à nue.
L'auteur nous donne à voir des personnalités complexes, très marquées. Il y a tout d'abord Paul, cynique et malsain à souhait, le pur « salaud » revendiqué comme tel, et de fait il semble incarner le mal absolu. Il y a Suzanne, la jeune journaliste indépendante et libre, figure de l'innocence, et Armand complètement traumatisé par les combats dans les tranchées de la Première Guerre Mondiale ainsi que par son incarcération, figure de l'amoureux éconduit. Enfin, il y a un certain Eugène marqué par une éducation trop corsetée et une mère castratrice, peintre, dont on ne comprend pas le lien avec les autres protagonistes dans un premier temps. Ce fameux lien, nous allons le comprendre peu à peu et c'est glaçant.
L'enfermement est également le moment de la confrontation de ces personnalités très différentes, celui de la promiscuité et des compromis.

« Nul ne pouvait juger sa vie. Tout comme personne ne pouvait juger la mienne sans en connaitre les ramifications et les errements ».

Des trajectoires de vie comportant des zones d'ombres et de lumières, des fractures, des bassesses et des moments de gloire. Chacun raconte à sa manière ce qu'il est en train de vivre, c'est confondant de finesse, de subtilité, d'intimité révélée.
Je dois avouer avoir craint au début une écriture caricaturale, la voix de Paul par laquelle démarre le livre m'ayant paru dans un premier temps un peu exagérée tant son caractère est marqué. Mais non, pas du tout, c'est même au final selon moi le personnage le plus captivant.
Peu à peu les portraits psychologiques de chacun s'affinent, prennent vie, je suis réellement admirative de la façon qu'à Salomon de Izarra de décrire ainsi la psychologie humaine. Cette lecture immersive nous plonge littéralement dans ces vies, par des moyens différents, le journal intime ayant par exemple une sincérité que les lettres n'expriment pas de la même manière, pour découvrir les raisons profondes de leur présence en ces lieux.

L'enfermement est un nouveau traumatisme pour ces personnes qui autorise alors, malgré des circonstances différentes, aux anciens traumatismes de refaire surface, aux mêmes conséquences d'advenir, aux mêmes cauchemars de revenir, poison insidieux qui « se glisse sous notre peau comme une aiguille quelques microsecondes avant que le derme soit suffisamment épais pour empêcher la pointe d'atteindre la profondeur des chaires ».


D'une lucidité et d'une clairvoyance radicale, ce livre exprime en aplats de nuances, les errances et les délitements de l'âme humaine. Au gré des histoires de vie racontée, c'est une époque qui se dessine, celle de l'entre-deux guerres, de la folie des combats, de l'absurdité des diktats, ce sont les traumatismes de l'enfance que nous portons ensuite toute notre vie qui surgissent, ce sont les manipulations et influences du jeu de la comédie humaine qui se profilent d'un ton caustique et acide. Un kaléidoscope des sentiments humains et des codes sociaux. le fantastique dans ce livre apporte une touche d'étrangeté, une ambiance envoutante et luciférienne, mais n'est au final qu'un prétexte pour créer un cadre oppressant à l'enfermement, véritable sujet du livre. Un livre surprenant de maîtrise avec lequel je me suis tout simplement régalée !

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