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Critique de Antyryia



Vous avez une rentrée d'argent imprévue : qu'en faîtes-vous ?
- Vous vous faîtes plaisir ou en faîtes profiter vos proches ?
- Vous l'épargnez ?
- Vous faîtes un don à une association qui vous tient à coeur ?
- Vous achetez une concession au cimetière ?

Mon appartement ne m'a jamais paru aussi démodé que pendant cette lecture. Vous allez vous moquer mais pour allumer la lumière je dois me servir ... d'interrupteurs. Mes fenêtres ont des rebords. Pour faire couler l'eau je me sers encore de robinets. Et je préfère ne pas évoquer les plinthes, les meubles, les livres qui traînent partout. A vrai dire j'ai même des portes qui séparent les différentes pièces et pour les fermer je dois me servir de poignées. La honte, oui, je sais.
Je dois donc admettre qu'une maison telle que celle d'One Folgate Street ( que je rebaptiserai OFS ici ) modifierait en profondeur mes habitudes et,
par extension, ma personnalité.
"Cette maison fera peut-être de moi une personne bien. Elle m'apportera peut-être le goût de l'ordre et de la discipline dans le chaos de mon existence."

OFS est la création de l'architecte Edward Monkford et se situe quelque part entre la maison et l'oeuvre d'art, alliant minimalisme et technologies.
Une demeure sans la moindre aspérité ( pas même une rampe d'escalier ), immaculée, où rien ne doit jamais traîner.
"A l'intérieur, la maison est aussi épurée et parfaite qu'une galerie d'art."
"Toutes les pièces communiquent, sans porte, pas même entre la chambre et la salle de bain."
Une maison futuriste également puisqu'elle rappelle par certains aspects les demeures à l'intelligence artificielle qu'on a pu croiser dans des séries comme Eureka ou Extant : Serrures contrôlées par une application smartphone, musiques d'ambiance qui s'adaptent à l'occupant, lumières qui s'allument automatiquement ou vitres qui s'assombrissent en fonction de la clarté extérieure. Et puis cette douche fabuleuse : "Elle vous reconnaît quand vous entrez et elle règle la température de l'eau en fonction de vos préférences. Et quand vous ressortez, la douche s'arrête toute seule."
"C'est l'avenir ( ... ). La santé et le bien-être pris en charge par l'environnement domestique."

Une maison qui ne pourrait pas convenir à n'importe quel locataire. Et d'ailleurs, c'est l'une des raisons pour lesquelles un questionnaire assez intrusif ( et souvent curieux voire absurde ) doit être rempli par les personnes intéressées. Edward Monkford en personne étudiera les réponses des candidats potentiels et recevra les postulants retenus - peut-être également en fonction des photos jointes au dossier - pour un dernier entretien décisif. Si vous êtes par exemple assez matérialiste, vos chances seront d'emblée limitées.
C'est ainsi que Jane sera retenue, tout comme l'avait été Emma, la fille d'avant.
Deux femmes victimes d'un traumatisme récent qui voient en OFS une occasion unique de procéder à des changements dans leurs vies, d'y apporter la rigueur et la discipline qui y manquaient, sans oublier que l'on s'y sent en sécurité et que le loyer est extrêmement raisonnable.
Deux femmes aux nombreuses similitudes mais également différentes : Jane est seule lorsqu'elle emménage tandis qu'Emma est en couple.

Les premiers changements ne tarderont pas à se manifester chez l'une ou l'autre de ces femmes, qu'ils soient sexuels, alimentaires ( certains mets sophistiqués plongeraient Brigitte Bardot dans une rage sans limite ) ou comportementaux. L'influence de la maison, et plus spécifiquement des règles drastiques de son séduisant, magnétique et énigmatique concepteur, ne tardera pas à manifester ses premiers signes.
Signes qui seront mesurés par de nouveaux test mensuels obligatoires, souvent sous forme de questionnaire à choix multiple dont l'objectivité paraît pour le moins déroutante.
"Une personne ordinaire transformée par l'architecture."
"Il essaie de contrôler non seulement notre environnement, mais aussi nos pensées et nos sentiments les plus intimes."

Attendu comme le messie du thriller psychologique, j'ai finalement moi aussi rapidement cédé à la tentation de la fille d'avant. Premier constat, lu en trois soirées seulement, il tient en tout cas haut la main ses promesses de page-turner. Après dix pages de lecture, la couleur était déjà annoncée. Ecriture fluide, chapitres courts, angoisse de plus en plus palpable au fur et à mesure des révélations ( et transformations ) : les chapitres en appelaient d'autres constamment et oui, le livre se dévore bel et bien et nous aspire dans sa spirale manipulatrice.
J'appréhendais, au vu des similitudes annoncées entre les vies d'Emma et de Jane, que leurs histoires ne se ressemblent beaucoup trop et de lire plus ou moins la même chose d'un chapitre à l'autre dans une version déclinée légèrement différemment. C'est parfois le cas au début du roman ( à titre d'exemple le chapitre où Simon et Emma fêtent l'anniversaire de celle-ci dans leur nouvelle maison fait place ensuite à la pendaison de crémaillère de Jane ) mais très vite cette légère impression de répétition disparaît. Je craignais aussi d'être parfois perdu entre leurs histoires respectives et de ne plus savoir avec quelle fille j'étais. Mais JP Delaney ( pseudonyme de Tony Strong, déjà auteur notamment de L'appât ou Un mauvais rêve aux presses de la cité ) a construit son récit très intelligemment : Les deux femmes sont suffisamment différentes pour qu'on ne les confonde pas et qu'au contraire on soit surpris quand leurs vies respectives prennent une tournure similaire, d'une façon pas toujours conventionnelle ou attendue. Parfois la vie de l'une permet de combler les ellipses dans l'histoire de la seconde, parfois même l'identité de la narratrice n'est pas si importante tant leurs histoires sont complémentaires et pas seulement similaires. Si d'une certaine façon nous avons deux histoires en une, ce sont bien les deux mises bout à bout qui nous offrent une vue d'ensemble des personnages et des évènements, sans que jamais je n'ai eu d'impression de redondance ou de confusion. La construction est donc très adroite, et les quelques questions ou QCM insérés dans l'ouvrage participent à installer un climat de doute et d'incompréhension, et surtout nous permettent de nous identifier davantage aux deux femmes puisque nous aussi nous aurons tendance à essayer de répondre à ces obscurs dilemmes.
"Seriez-vous prêts à vous sacrifier pour sauver dix inconnus innocents ?"

Pour qui aime le genre, la fille d'avant est donc bien, si ce n'est un chef d'oeuvre, en tout cas un incontournable du thriller psychologique. On y retrouve les codes mais ils sont déclinés suffisamment différemment pour ne pas avoir d'impression de déjà-lu et à elle seule, son originalité mérite d'être saluée. En ergotant, je pourrais dire que je n'ai pas été subjugué par la qualité d'écriture et que je n'ai pas non plus ressenti toute la tension promise, mais j'étais tout de même tenu en haleine à force de me demander jusqu'où les deux histoires allaient se rejoindre. Et en plus de 400 pages, jamais le rythme ne s'est essouflé d'autant plus que Delaney réserve de nombreuses surprises qu'il est difficile d'anticiper alors même que les deux récits semblent identiques.

En tout cas, tout bien réfléchi, mon appartement me convient très bien tel qu'il est.
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