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Critique de afleurdemots


Dans son avant-propos, Rona Joffe qualifie son livre de « document sociologique ». Elle promeut un récit issu de sa propre expérience et de celle de ses amies qui se veut être une peinture réaliste de la condition féminine de l'époque. En ce qui me concerne, je trouve que le portrait brossé par l'auteure est loin d'être un plaidoyer en l'honneur de la femme.

« Rien n'est trop beau » nous entraîne dans le New York des années 50, au coeur de l'intimité de quatre jeunes femmes, ayant tout juste une vingtaine d'années.

Parmi elles, Caroline, qui tente de fuir les démons du passé après que son fiancé l'ait abandonnée pour une jeune héritière de Dallas. Meurtrie d'avoir vu ses rêves de mariage et tous ses projets ainsi s'effondrer, la jeune femme espère trouver dans ce nouvel emploi un exutoire à ses angoisses et s'y accroche comme à une bouée de sauvetage. Ambitieuse, elle s'investit bien plus que ses collègues dans son travail et rêve désormais de gravir les échelons pour briguer un poste d'éditrice. Plus terre à terre, déterminée et clairvoyante que ses amies, elle est incontestablement le personnage qui m'a le plus touchée une grande partie du livre.
Débarquant tout juste de province, April Morrisson est incontestablement la plus naïve de toutes. Grande idéaliste romantique, elle rêve du prince charmant. Mais dans une société régie par les apparences et le poids des conventions, ses idéaux et son besoin d'amour intarissable vont se heurter à la réalité.
Vient ensuite Barbara qui, du haut de ses 20 printemps est déjà une mère célibataire divorcée tentant tant bien que mal de joindre les deux bouts. Comme les autres, elle rêve de trouver l'homme de sa vie mais est pleinement consciente que son statut de mère célibataire est loin de jouer en sa faveur. Persuadée qu'elle ne trouvera jamais un homme capable de l'accepter en tant que telle, elle se tient sans cesse sur ses gardes au risque de laisser passer sa chance.
On trouve également Gregg qui aspire à devenir une actrice reconnue. Sous ses airs de femme libre et décomplexée, elle est finalement peut-être la plus fragile du groupe. Comme April, elle souffre d'un criant besoin d'amour qui va la conduire à un comportement autodestructeur.
Un peu à l'écart, il y a enfin Mary Agnes qu'on ne connaît qu'à travers le prisme des autres personnages pour lesquels elle incarne une forme d'idéal et de perfection. Elle a la vie que toutes rêveraient d'avoir : lisse, ordonnée, sans imprévu, planifié à la minute près (des préparatifs du mariage à l'arrivée du bébé). A la différence des autres personnages, Rona Jaffe ne fait pas entrer le lecteur dans l'intimité de Mary Agnes. Jusqu'au bout, on peut donc se poser la question : la vie de Mary Agnes est-elle vraiment idéale ? Ou en est-il autrement si on gratte le vernis ?

Si dans les premiers chapitres, nous plongeons avec délice dans le quotidien de ces femmes apparemment très différentes les unes des autres, une fois passé l'enthousiasme de la découverte, le lecteur se retrouve rapidement confronté aux codes archaïques de la société patriarcale de l'époque. Dans ce New-York des années 50, les jeunes femmes n'aspirent toutes qu'à un même rêve : le Mariage. Dans ces conditions, leur travail de dactylo n'est qu'un levier leur permettant d'atteindre cet objectif. A leurs yeux, l'épanouissement se résume à une vie bien rangée de femme au foyer accomplie et de mère de famille épanouie, à l'image de celles représentées sur les affiches publicitaires. Une conception de l'épanouissement personnel que je suis loin de partager et qui vire pour toutes ces jeunes femmes à la véritable obsession.

Les portraits masculins n'échappent pas eux non plus à la caricature. A de très rares exceptions près, les hommes sont présentés comme des êtres égoïstes et allergiques à toute forme d'engagement quand ce ne sont pas des ivrognes qui n'hésitent pas à harceler sexuellement leurs employées.

C'est donc un tableau affligeant que nous offre l'auteure d'une société où la femme est réduite à une « pauvre jolie petite chose idiote, docile et fragile » écrasée par le poids des conventions et d'une soumission sans faille. Si je ne remets en doute ni le fondement réel de cette vision désuète du rôle de la femme ni celui du poids des moeurs de la société de l'époque, je déplore en revanche le choix de l'auteure d'avoir mis en scène des personnages d'une superficialité affligeante. Je peine à croire que les différents portraits élaborés par l'auteure soient représentatifs des femmes de l'époque (ou alors, la femme ne se serait jamais émancipée !). Si elles sont toutes issues de milieu différents, leurs rêves, leurs idéaux et leurs réactions sont sensiblement identiques.

Je ne saurais dire si cette caricature est un choix délibéré de l'auteure qui exagère intentionnellement le trait pour mieux dénoncer la condition féminine de l'époque. Pensait-elle réellement que les femmes étaient de simples victimes de la société patriarcale de l'époque ? ou bien a-t-elle voulu à travers le portrait de ces véritables potiches renvoyer les femmes à leurs propres parts de responsabilité vis à vis d'un destin qu'elles se montraient incapables de prendre en main ? Dans tous les cas et quelles que soient les desseins nourris par l'auteure, le procédé ne m'a pas convaincue. J'aurais de loin préféré que Rona Jaffe mette en avant des femmes combattives et avec du plomb dans la cervelle plutôt que de les positionner sans cesse en victime et sans le moindre désir d'émancipation. Leur manque de lucidité et leur inertie face aux évènements ont fini par m'agacer. Même le personnage de Catherine qui semblait pourtant tirer son épingle du jeu et faire preuve de davantage de sens critique depuis le début du récit, se verra rattraper par les fantômes du passé pour tomber finalement dans le même piège que ses collègues. Un changement de caractère pour le moins déconcertant (pour ne pas dire consternant) et une occasion manquée pour l'auteure qui aurait pu nous offrir

Ces personnages sans charisme peinent à porter une intrigue elle-même bien plate et sans grand intérêt. Puisqu'à l'image des seules préoccupations des différents protagonistes, le scénario de « Rien n'est trop beau » se concentre sur les déboires sentimentaux des jeunes « héroïnes » qui enchaînent les désillusions amoureuses. Aveuglées par l'amour et se berçant d'illusions, elles s'engagent en effet dans des histoires d'amour destructrices et vouées à l'échec selon un schéma souvent répétitif. Elles ne semblent tirer aucune leçon du passé et réitèrent inlassablement les mêmes erreurs tout en s'apitoyant sur leur sort, les rendant à la longue antipathiques. C'est ainsi un sentiment d'indifférence qui a dominé durant ma lecture face à ces personnages passifs et incapables de prendre leur destin en main.

Si sur le fond, mon avis semble impitoyable, sur la forme, je serai en revanche beaucoup moins sévère. Car en dépit de tout ce que je peux reprocher à « Rien n'est trop beau », il faut reconnaître que l'écriture de Rona Jaffe à défaut d'être novatrice se révèle pour le moins efficace. Malgré une intrigue qui ne brille pas par sa profondeur, l'auteure parvient à capter notre intérêt de bout en bout et les pages se tournent à une vitesse folle. Je reconnais ainsi qu'à défaut d'avoir lu une intrigue captivante et qui restera gravée dans ma mémoire, Rona Jaffe aura au moins eu le mérite de m'offrir un moment de lecture plutôt agréable.
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