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Critique de YvesParis


L'image qu'on a du Pakistan se réduit souvent à quelques clichés simplificateurs. Un pays né de la partition sanglante du Raj britannique dont la rivalité, désormais nucléaire, avec l'Inde constitue l'un des foyers d'instabilité les plus dangereux au monde. Un système politique caractérisé par la succession quasi métronomique de coups d'État militaires (Ayub Khan en 1958, Zai ul-Haq en 1977, Pervez Musharraf en 1999) et de fragiles démocraties (Z.A. Bhutto en 1970, Benazir Bhutto en 1988, Asif Zardari en 2008). Une société travaillée par des forces islamistes liées pour certaines aux taliban afghans et à al Qaeda.

Probablement le meilleur spécialiste français de l'Asie du Sud, Christophe Jaffrelot cherche la clé du « syndrome pakistanais » dans l'histoire et la sociologie de ce pays. Cette instabilité multisectorielle s'articule autour de trois contradictions.
La première concerne la construction paradoxale du Pakistan : nationalistes sans nation, les fondateurs du « pays des Purs », Jinnah en tête, ont construit un État unitaire, musulman et ourdouphone, sourd aux revendications autonomistes des groupes ethniques sindi, baloutche, pachtoun ou mohajir.
La deuxième concerne le régime marqué du sceau de l'autoritarisme dans la veine de la gouvernance « vice-royal » mise en place sous la colonisation. Christophe Jaffrelot nous met en garde contre la tentation d'opposer des civils démocrates à des militaires autocrates. L'histoire du Pakistan est certes marquée par la répétition de coups d'État militaires. Mais les civils ont une responsabilité importante dans l'échec de la démocratie.
La troisième concerne la place de la religion. Deux conceptions se sont opposées quant au rôle de l'islam tout au long de l'histoire du Pakistan : d'un côté celle des « sécularistes » qui considèrent l'islam moins comme une religion que comme un marqueur identitaire et territorial, de l'autre celle des fondamentalistes qui revendiquent l'instauration d'un État islamique.
Christophe Jaffrelot nous invite à donner à ces trois dimensions du syndrome pakistanais une lecture sociologique. Historiquement, le Pakistan est en effet le projet d'une élite musulmane déclassée décidée à défendre ses intérêts face à la majorité hindoue. Il s'est construit face à l'Inde dans le refus de la règle démocratique – qui aurait fait le jeu des hindous face aux musulmans – et n'a pas su s'y rallier ensuite, ce qui conduisit notamment à l'indépendance du Bengladesh en 1971. Il consiste aujourd'hui en un establishment civilo-militaire composé de quelque 2000 familles dont l'objectif prioritaire est la perpétuation de son statut dominant. Il n'a pas hésité, sous Z.A. Bhutto puis sous Zia, à instrumentaliser l'islam, quitte à créer des mouvements fanatisés dont le contrôle lui échappe.

Le monumental ouvrage de C. Jaffrelot est – n'ayons pas peur des superlatifs – un chef d'oeuvre. Publié chez Fayard dans la collection « Les grandes études internationales » qui nous avait habitués à des pavés collectifs aussi indigestes qu'inégaux, « le syndrome pakistanais » est, lui, un livre d'une grande unité aux frontières de trois genres littéraires en sciences sociales. Il s'agit d'abord d'un magistral ouvrage de synthèse de plus de 600 pages, rédigé à partir d'une littérature foisonnante et de sources de première main. Il s'agit ensuite d'une histoire du Pakistan contemporain, mais qui préfère un découpage thématique à une présentation platement chronologique. Il s'agit enfin d'un essai qui défend une thèse aussi simple que subtile : le syndrome pakistanais se comprend par la sociologie de ses élites.
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