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Critique de Osito


Une amie m'annonça dernièrement : « Pour écrire les deux derniers chapitres de mon livre, il me faut quelques jours à la campagne». Des images ont surgi, colorées, peuplées, odorantes…La campagne à laquelle elle fit allusion, c'est une vieille maison normande, des haies, des nids, des fleurs, des chevreuils et des chevaux, le bourg à 10 km, la gare la plus proche à 25 km. Peu de facilités, comme on dit, mais pas d'exaspérantes promiscuités non plus. Comment décrire, penser, rêver les campagnes de notre temps ? Comment les évoquer avec justesse pour qu'elles et leurs habitants, les anciens et les nouveaux, ne se dissolvent pas dans un énième « zonage en aires urbaines »?*
Plouc Pride, c'est d'abord un titre racoleur, une sorte d'oxymore bien dans l'air du temps, une courbette à la vogue tyrannique des destructions créatrices : pas un titre a priori très sympathique. Mais comment faire entendre, sans un titre comme celui-ci, « un nouveau récit pour les campagnes » ?

Valérie Jousseaume conduit une réflexion sur la longue durée de l'occupation des territoires par notre espèce, afin d'expliquer comment nous en sommes arrivés à la domination hégémonique du monde par l'urbain industriel moderne. de cette emprise multiforme, nous faisons encore l'expérience aujourd'hui : elle nous est imposée en prêt à penser par un « récit » qui a fait table rase de notre passé paysan. V.J. propose un « récit » alternatif.

A l' « ère sauvage » de la cueillette et de la chasse auraient succédé l' « ère paysanne » marquée par l'importance des activités agricoles et du mode de vie paysan, puis l' « ère de la modernité industrielle », qui se caractérise par le productivisme, la croissance urbaine, la rupture avec la culture paysanne, mais aussi de vraies avancées socio-économiques. A chaque ère, ses besoins fondamentaux, son organisation sociale, ses représentations. Actuellement, une crise écologique et sociétale menace l'ensemble du vivant et atteste des méfaits du capitalisme extractiviste. Ainsi, à l'ère de la modernité, qui a produit les instruments de son propre effondrement, semble devoir succéder l'ère de la « noosphère ». Les concepts du marxisme n'auraient-ils pas été pertinents pour fonder cette réflexion ? On peut légitimement s'interroger sur ce point. Et rester un peu perplexe quant au concept d' « ère ». Faut-il le relier à celui d'anthropocène ?

Un des mérites du livre est de poser des questions de fond.
En faisant disparaître un mot, rend-on plus aisée et plus acceptable l'éradication de la réalité qu'il recouvrait ? En ne parlant plus de campagne, de milieu, de paysage ou de bourg rural, facilite-t-on la destruction des champs, des haies et des bocages, des prairies et des forêts au profit des zones d'activités, des centres logistiques, des lotissements, des bretelles, des éco-parcs et autres scories d'une « modernité » arrogante? Enlève-t-on aux habitants des campagnes tout rôle d'acteurs des évolutions en cours? L'itinéraire menant à l'anéantissement lexical des campagnes, devenues « ensemble des communes peu denses et très peu denses »*, apparaît obstinément corrélé à l'assujettissement désolant du vivant et de la beauté au fonctionnel et à l'utilitaire, mais aussi à l'éviction d'une partie de la population du champ des débats démocratiques.
Lire Plouc Pride, ce n'est pas cheminer dans les campagnes françaises ni acquérir des savoirs géographiques sur les territoires ruraux, c'est plonger dans un récit méthodique et optimiste dédié à l'espérance d'un futur désirable.

*L'INSEE, institut national de la statistique et des études économiques, fournit des analyses des territoires, et met au point des instruments pour mener ce type de travaux. Ces instruments évoluent et, pour les « campagnes », nous en sommes à « l'ensemble des communes peu denses ou très peu denses » : il n'est plus question de « milieu rural », ni même d'« espace à dominante rurale » depuis 2010.
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