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Critique de Sachenka


Imaginez vous retrouver du jour au lendemain dans un endroit inconnu, peuplé de gens qui vous sont tout aussi inconnus et qui parlent une langue étrangère. Eh bien, dans le roman Épépé, c'est ce qui arrive à Budaï. Et pourtant, il est linguiste, spécialisé en étymologie (l'étude de l'origine des mots). Dans le cadre de son travail, il aborde la plupart des langues indo-européennes, un peu de turc, d'arabe et de persan, il possède de vagues notions d'hébreu, de chinois et de japonais. Donc, s'il en est un qui devrait pouvoir se débrouiller dans un pareil environnement, c'est bien lui. Malheureusement, il est complètement perdu. Tout ce qu'il retient, c'est cet « Épépé » qu'il entend à gauche et à droite, ainsi que d'autres mots qui ne lui rappèlent absolument rien.

Pourtant, son voyage avait bien commencé. Budaï avait quitté Budapest en direction d'Helsinki (où il devait participer à un congrès de linguistes) tard en soirée et en avait profité pour se reposer pendant le vol. À son réveil en pleine nuit, apparemment arrivé à destination, il suit le mouvement des passagers sans trop se poser de questions ni porter attention au paysage. Encore un peu embrumé, il monte dans un autocar qui le dépose devant un hotel au centre d'une ville qui ne ressemble pas trop à la capitale finlandaise. Là, il finit par se rendre compte qu'il ne se trouve pas à Helsinki et que les gens qui l'entourent ne parlent aucune langue connue.

Et ce n'est là qu'une partie du problème et l'auteur Ferenc Karinthy l'a bien cerné. C'est que, au-delà de la barrière linguistique, il y a tous les codes et toutes les règles qui régissent cette société, et ils semblent différents, étranges. Les gens qui entourent Budaï ne le comprennent pas et ne font aucun effort pour l'accomoder. le pauvre homme est constamment bousculé, repoussé. C'est qu'il y a des files d'attente partout, surtout à l'hôtel (son seul point de repère) où le personnel sans compassion lui demande constamment de bouger pour faire de la place aux autres clients qui attendent derrière lui. Et ce à toute heure de la journée. Toujours ce flot intarrissable de gens, d'individus sans visage ni personnalité.

Ses tentatives pour se faire comprendre échouent les unes après les autres. Budaï essaie de se repérer, réussit à prendre le métro, à se promener sans trop se perdre. Cette ville si étrange, qui ressemble à toutes les villes européennes, avec les mêmes restaurants, commerces, panneaux de signalisation, immigrants… Mais où peut-il bien être et quelle langue parlent-ils tous ? Il se procure des brochures, des plans, n'importe quoi qui comporte des mots qu'il pourrait essayer d'analyser. Il est linguiste après tout, ce qu'il lui manque, c'est une pierre de Rosette. Mais ses recherches ne mènent nulle part. Bref, Budaï est prisonnier dans une immense maison de fous ! Une jungle urbaine ! Évidemment, c'est totalement éclaté, surréaliste. Je vois difficilement comment un linguiste pourrait ignorer un langage parlé dans une grande ville cosmopolite (ne pas la maitriser, oui, mais l'ignorer…). Mais ce n'est pas grave, c'est la prémisse. Il faut l'accepter et se laisser porter dans l'inconnu. Et parfois rire des aventures de Budaï.

On peut faire une analogie avec le régime soviétique (ou n'importe quel régime oppressif ou totalitaire) sous lequel a vécu l'auteur hongrois Ferenc Karinthy la plus grande partie de sa vie adulte. Sous de tels régimes, on patauge dans l'arbitraire, l'incompréhension, l'insensibilité. Et c'est ce qui est pire, à mon avis, c'est cette dernière. Budaï n'est pas maltraité, au contraire, il est soit ignoré, soit traité avec mépris, mais toujours avec un sourire neutre et poli. Ainsi, quand il s'énerve, c'est lui qui passe pour un demeuré, quelqu'un de violent et de dangereux. En tant que lecteur, on ne peut que ressentir la même frustration que le pauvre Budaï. Ainsi que son inquiétude, sa colère. On peut également faire le parrallèle avec le côté cosmopolite des grandes métropoles, où il est tellement facile de se sentir isolé, seul, même au milieu d'une foule de plusieurs millions de personnes. Qu'y a-t-il de plus terrible que de ressentir la soulitude ainsi entouré ?

Bref, Épépé est un roman déstabilisant qu'on peut interpréter à sa manière. Sans doute peu approprié pour quelqu'un qui cherche une petite lecture facile pour se détendre mais tout de même fascinante et intrigante.
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