Esprit d'hiver

Esprit d'hiver est un roman particulièrement glaçant (mes jeux de mots sont de retour !). La question principale abordée par Laura Kasischke est celle de l'héritage. Est-ce que Tatiana, jeune fille adoptée en Sibérie par Holly (la narratrice) et son mari, aurait des comportements ataviques liés à ses origines (tziganes? mongoles?) mais aussi à sa vraie mère (probablement une prostituée ou une alcoolique) ? En effet, outre le patrimoine culturel, on hérite d'un patrimoine génétique et ici Holly est dans le déni. Je ne peux en dire guère plus afin de ne pas déflorer l'histoire... L'ambiance est également étouffante car il s'agit d'un huis clos : Holly et sa fille adoptive sont enfermées le jour de Noël à la maison en raison d'un blizzard qui retient dehors les invités et le mari parti chercher ses parents à l'aéroport. La tension croît progressivement jusqu'à atteindre son acmé à la fin du roman où l'on apprend les raisons de l'appréhension de la mère. Les indices sont distillés au fur et à mesure du récit qui n'est pas sans rappeler Il faut qu'on parle de Kevin de Lionel Shriver où la mère s'interrogeait ici sur sa relation avec son enfant et sur l'héritage transgérénationnel (famille arménienne) ou le Bon fils de Todd Strasser où le fils mettait mal à l'aise. Ainsi dans Esprit d'hiver, Tatiana, par ses sautes d'humeur, sa froideur et son teint cadavérique n'inspire pas confiance au lecteur qui peut se sentir outré par l'ingratitude de cette jeune fille vis-à-vis de sa mère comme il a pu ressentir de l'effroi en lisant les deux autres romans précités face à la cruauté des fils envers leur mère. L'amour que l'on porte à ses enfants n'est pas toujours réciproque. C’est une question taboue qui est soulevée en filigrane par ces trois ouvrages que je me plais à comparer...
Enfin, dans Esprit d'hiver, on perçoit aussi la charge mentale de cette mère dont les pensées se bousculent, tournoient sans cesse et la ralentissent dans la préparation du repas de Noël...
Le récit est, en effet, en grande partie introspectif. Ses pensées la tourmentent et celles-ci sont parfois redondantes car la narratrice fait des allers-retours entre le présent et le passé relatif à l'adoption de Tatiana en Sibérie. Le lecteur finit par avoir toutes les explications à la fin du récit ce qui est très plaisant car il ne reste pas sur sa faim.
Bombe à retardement - puisque l'on sait dès le début de l'ouvrage que cette journée qui a très mal commencé va s'achever par un drame - roman psychologique, Esprit d'hiver, est par conséquent un bon ouvrage... à ne pas mettre néanmoins entre toutes les mains car il aborde des sujets dérangeants.