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Critique de SZRAMOWO


Un travail de recherche impressionnant sur un sujet peu connu et sur lequel les opinions arrêtées et les idées fausses ne manquent pas.
Les Harkis sont administrativement des «supplétifs». Selon la définition du CNTRL, le supplétif fait partie des troupes levées temporairement pour renforcer l'armée régulière.
Ces recrutements ont constitués une stratégie de l'armée française pour s'attirer la sympathie de la population algérienne, mais aussi pour bénéficier de renseignements de première main sur l'emprise du FLN.
Les Harkis bénéficiaient d'un statut et pouvaient légitimement prétendre à ce que leurs années de service soient reconnues et que leur insertion dans la société française, pour ceux qui le souhaitaient soit facilité.
Hors, il n'en a rien été. le mérite du travail de Katia Khemache est de montrer pourquoi les Harkis ont été les victimes d'un véritable jeu de dupes et qu'ils ont été un enjeu pour les diverses parties en présence lors des accords d'Evian et lors des affrontements provoqués par leur application en Algérie.
Le 8 avril 1962, les Français, lassés des «événements d'Algérie», votent massivement les pleins pouvoirs au général De Gaulle pour l'application des accords d'Evian. (Taux de participation 76% Oui : 91 %)
Si les dits accords stipulent que :
« Nul ne pourra faire l'objet de mesures de police ou de justice, de sanctions disciplinaires ou d'une discrimination quelconque en raison d'opinions émises à l'occasion des événements survenus en Algérie avant le jour du scrutin d'autodétermination, d'actes commis à l'occasion des mêmes événements avant le jour de la proclamation du cessez-le-feu. Aucun Algérien ne pourra être contraint de quitter le territoire algérien ni empêché d'en sortir. »...il n'en est rien dans la réalité !
La démobilisation des harkis se fait alors que le général De Gaulle déclare le 25 juillet 1962, que le gouvernement « ne peut pas accepter de replier tous les musulmans qui viendraient à déclarer qu'ils ne s'entendront pas avec leur gouvernement ! le terme de rapatriés ne s'applique évidemment pas aux musulmans : ils ne retournent pas dans la terre de leurs pères. Dans leur cas, il ne saurait s'agir que de réfugiés ! Mais on ne peut les recevoir en France comme tels que s'ils couraient un danger ! »
Sur place, les Harkis sont menacés, et sont des victimes désignés, notamment à la vindicte des «marsiens», ces résistants algériens de la dernière heure.
Le travail de Katia Khemache s'appuie sur l'analyse de documents de l'époque, rapports des préfets, notes et circulaires ministérielles, articles de journaux :
Le nombre des Harkis fait l'objet d'estimations très variables, 169 000 durant la période des hostilités selon une étude du Service Central des Rapatriés, entre 200 000 et 400 000 selon des notes ministérielles.
La position du FLN sur le sort des Harkis hésite entre le «pardon» et les «menaces» comme le montrent différentes notes internes à l'organisation. Selon les régions, la position peut varier du tout au tout.
Le transfert de souveraineté de la France à l'Algérie se fait dans un climat extrêmement tendu. L'OAS entend saboter l'application des accords d'Evian, les différentes factions du FLN sont très divisées sur les modalités d'application des accords. L'armée française encore présente a reçu des consignes de neutralité mais localement certains officiers peuvent «décider» de protéger les populations, notamment les Harkis.
Le général lui-même déclare : «Que les accords soient aléatoires dans leur application, c'est certain.»
Les massacres de Harkis relèvent «de mécanismes désordonnés de violence extrême symptomatiques des sorties de guerre.»
En lisant la liste qu'en dresse Katia Khemache, on ne peut s'empêcher de penser à la période trouble qui a suivie la fin de la guerre en France et les exactions souvent commises par des résistants de la dernière heure.
L'exécutif français est embarrassé par «la boite à scorpion» comme De Gaulle appelle l'Algérie et se trouve mis devant le fait accompli face aux exodes massifs, «...le ministre de l'intérieur Roger Frey demande une politique d'accueil rigoureusement contrôlée tant pour les «Pieds-Noirs» que pour les Français musulmans car l'urgence en France est de lutter contre l'OAS.»
Concernant les Harkis, Pierre Messmer, dans un télégramme du 12 mai 1962, est plus précis que Roger Frey : «Il me revient que plusieurs groupes d'anciens Harkis seraient récemment arrivés en métropole.(...) ces arrivées sont dues à des initiatives individuelles de certains officiers SAS. (...) Je vous prie d'effectuer sans délai enquête en vue de déterminer les conditions de départ d'Algérie des ces groupes incontrôlés et de sanctionner les officiers qui pourraient en être à l'origine.»
Menacés en Algérie, indésirables en France, les Harkis sont «recasés» loin des centres urbains où «la présence d'immigrés algériens entraîne des menaces» pour eux.
La série de règlements, notes et procédures produites par l'administration a un côté surréaliste et sert aux yeux des responsables de «justification» des conditions de vie dans les «camps» de Harkis.
«Cités d'accueil, camps de transit, hameaux forestiers» sont «réservés» aux Harkis dont François Missoffe, le ministre des Rapatriés, pense même qu'ils sont «en dessous du niveau minimum nécessaire à l'adaptation à la vie française.» A l'hiver 1963, a population est catégorisée en «reclassables», «recasables» «inclassables», «irrécupérables»...
L'acquisition de la nationalité française prévue par l'ordonnance du 21 juillet 1962 s'avère un parcours semé d'embûches et entre 1963 et 1968, seuls 84 000 personnes obtiendront la nationalité française alors que la plupart ont servis dans l'armée française.
La mise en place de dispositifs discriminatoires et d'un encadrement quasi répressif, pour gérer le rapatriement des Harkis s'avère incompréhensible tant il est contre productif. Ces dispositifs concernent la vie dans le camps, le logement, l'éducation des enfants, les services sociaux, l'attribution d'indemnités et de pensions.
Des années 1970, jusqu'aux années 2000, cette politique aura été constante quelque soit les gouvernements.
Peut-être faut-il en chercher la réponse du côté de l'image des Harkis dans l'opinion française.
Pierre Bouchet dans libération durant l'été 1975 alors que le mouvement de contestation prend racine dans les camps de harkis, écrit :«Ironie de l'histoire, les jeunes harkis demandent la fermeture d'un camp qui, autrefois servait pour les détenus du FLN. Ironie encore ces fils de collaborateurs du colonialisme français revendiquent aujourd'hui d'être traités comme des Français à part entière et de ne plus subir le sort qui leur est fait en France : celui de simples «bougnoules» «On peut toujours rappeler que les Harkis parents de ces jeunes gens étaient rien moins que des collabos.»
Terminologie qui sera utilisée par le Président Abdel Aziz Bouteflika lors de son voyage en France en juin 2000, et à laquelle Jacques Chirac réagira.

Le travail de Katia Khemache recoupe en l'objectivant, le roman d'Alice Zeniter «L'Art de perdre» dans lequel elle raconte le périple de ses grands parents et de son père de l'Algérie au camps de Rivesaltes puis dans une cité de Flers dans l'Orne. Celle-ci dans son roman démontre que son grand-père devient Harki, non pas choix, mais parce que devant le cadavre de son ami Akli, un ancien combattant de 1914-1918 exécuté par le FLN parce qu'il continuait à toucher sa pension des Français, il devient un traitre aux yeux des autres parce que son ami a été exécuté par le FLN.
Katia Lhemache écrit, elle «  (…) l'image des Harkis » qui dans un premier temps a été « profondement marquée par des modes de pensée héritées de la guerre d'Algérie (…) connotées politiquement (…) » négligeant « les dimensions sociales et culturelles de la question (…) semble passer par un discours globalisant mais aussi compassionnel (et) glisse sensiblement de celle de coupable à celle de victime. »

Elle soulève le paradoxe induit par certians modes de raisonnement par trop idéologiques qui voudraient faire supporter aux descendants les fautes de leurs parents et grands parents. Là encore, le roman d'Alice Zeniter illustre cette thèse.

Un ouvrage à lire pour ceux qui s'intéressent à cette question et ceux qui veulent découvrir un aspect peu connu et peu glorieux de notre histoire.

L'ouvrage se lit avec facilité, les références s'insèrent très naturellement dans le texte.

Ouvrage reçu dans le cadre d'un Masse Critique Babelio, offert par les éditions CAIRN. Merci à elles.
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