AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Presence


Ce tome contient les épisodes 1 à 7 d'une nouvelle série publiée par Vertigo, et indépendante de toute autre. Ces épisodes ont initialement été publiés en 2013/2014. Ils sont écrits par Kaitlin Kittredge, dessinés et encrés par Inaki Miranda, sauf l'épisode 7 dessiné et encré par Steven Sadowski. La mise en couleurs a été réalisée par Eva de la Cruz, et les couvertures par Dave Johnson.

En 2013, Eve Coffin fait partie de la police à Boston. À peine sortie de l'académie, elle arrête un tueur en série. de retour dans son appartement, elle se fait tirer dessus à bout portant. À la sortie de l'hôpital, elle rentre chez elle, dans la résidence familiale où se trouve encore sa mère en fauteuil roulant, à Coffin Hills dans le Massachussetts. En 2003, elle avait organisé une invocation dans les bois, avec 2 amies (Melanie Lefevre et Danielle) et un copain (Nate Finn, qui est maintenant le shérif du coin). Cette séance de spiritisme avait mal tourné.

Alors qu'Eve Coffin est de retour dans sa ville natale, elle reprend contact avec Nate Finn et l'aide contre sa volonté à retrouver le cadavre d'une jeune fille disparue. Elle retrouve d'ailleurs des ossements humains à plusieurs reprises, autant de preuves d'activités meurtrières et paranormales.

Kaitlin Kittredge est une romancière spécialisée dans la littérature d'horreur à destination d'un lectorat féminin jeune adulte (par exemple Les Ténèbres de Londres). le passage du roman au comics n'est pas toujours une réussite pour des écrivains, même renommés. le lecteur aborde donc avec circonspection cette nouvelle série Vertigo débutée en 2013.

Premier constat : Kittredge a choisi une narration composant un savant désordre chronologique entre présent et passé pour que le lecteur découvre petit à petit les liens et l'histoire unissant les différents protagonistes. Kittredge manie ce dispositif narratif avec habilité, aidée par les dessins de Miranda qui permettent de bien distinguer les différentes époques.

Deuxième constat : Kittredge inscrit son récit dans le genre de l'horreur contemporaine en y intégrant les éléments attendus : jeune femme au look gothique avec un oeil dont le blanc a viré au noir, rituel occulte, vieux grimoire, individu couvert de sang, ossements en pagaille, nuée de plumes de corbeau, vieux grimoire, jeunesse dorée, possession, etc. de prime abord, le lecteur se dit qu'il ne manque pas un seul cliché à l'appel.

De page en page, le lecteur a la bonne surprise de voir que Kittredge ne se sert pas de ces codes narratifs de l'horreur comme des fins en soi, mais juste pour apporter de petites touches d'ambiance. Très rapidement, le lecteur ressent les traits saillants de la personnalité d'Eve Coffin, puis de Nate Finn. Il n'y a pas de monologue artificiel dans lequel un personnage débite sa profession de foi ou ses motivations. Il faut un peu de temps pour se rendre compte que Kittredge aborde chaque scène de manière naturaliste, dans une narration adulte. Les dialogues sonnent justes et naturels, les quelques cellules de pensée de Coffin sont rédigés avec des phrases simples. C'est l'accumulation des séquences, c'est le constat des actions et des réactions d'Eve Coffin qui finissent par dresser le portrait de sa personnalité. Dans chaque séquence, le lecteur assimile les faits en train de se dérouler, les informations que s'échangent les personnages, la façon dont ils formulent leur phrase qui donne des indications sur leur état d'esprit, leurs valeurs. Kittredge fait preuve d'une maîtrise exceptionnelle des spécificités de la narration en bandes dessinées, à un niveau qui a de quoi faire rougir de nombreux professionnels.

Kittredge conçoit avec habilité chaque scène pour que le lecteur puisse avoir l'impression d'être sur place, de voir les personnages évoluer, interagir et s'exprimer comme des individus normaux dans des situations extraordinaires, acquérant ainsi, petit à petit, une familiarité avec eux, éprouvant une empathie qui vient naturellement en côtoyant des individus adultes. Alors que le fond de l'histoire mêle sorcellerie et forces surnaturelles dans une forêt inquiétante (une trame de fond classique et un peu basique), l'épaisseur des personnages nuancés implique le lecteur dans leur état émotionnel rendant chaque scène unique, avec un déroulement découlant de la personnalité des individus présents.

Les 6 premiers épisodes sont dessinés par Inaki Mirandi qui avait déjà dessiné la deuxième histoire de la série "Fairest" : Hidden kingdom. Son travail sur "Coffin Hill" est très impressionnant. Elle réalise des images détaillées, qui portent toute les descriptions des environnements, des actions et des comportements des personnages. Cela peut sembler une litote, et comme la moindre des choses pour les dessins d'une bande dessiné. En fait, Inaki utilise une approche graphique descriptive, détaillée, tout en restant lisible. Grâce à elle, chaque endroit dispose immédiatement d'une forte personnalité visuelle. Elle sait adapter le niveau de détail à chaque scène.

Pour la superbe demeure familiale des Coffin, elle a conçu un bâtiment avec une architecture immédiatement reconnaissable, un grand parc, et une magnifique grille en fer forgé. Elle n'est pas loin d'un réalisme photographique. Pour les scènes dans les bois, les troncs forment plus une sorte de toile de fond à la limite de l'abstraction, installant une ambiance presque claustrophobe.

Chaque personnage dispose également d'une apparence graphique unique et spécifique, avec un grand soin apporté aux coiffures et aux tenues vestimentaires. La qualité des informations visuelles permet à Kittredge de limiter les dialogues, tout en assurant un bon niveau de densité narrative.

Les qualités de dessinatrice d'Inaki Miranda ne se limitent pas à la description. Sa sensibilité s'exprime avec la même force visuelle lorsqu'il s'agit d'introduire un élément surnaturel (la multitude de plumes de corbeau se manifestant lorsque qu'Eve saute sur le capot de la voiture de police, ou l'immonde créature possédant le corps du père de Danielle.

Le dernier épisode est dessiné par Augustin Padilla, dans une approche visuelle moins personnelle, et un sens du détail moins sûr que celui de Miranda. Ses dessins restent d'un bon niveau et la mise en couleurs d'Eva de la Cruz assure une continuité de tonalité telle que le lecteur n'est pas trop distrait par le changement de dessinateur.

À la première impression, le lecteur se dit que le récit va aligner tous les poncifs propres au récit d'horreur taillé sur mesure pour un lectorat féminin jeune adulte, sans grande imagination. de page en page, il découvre des personnages disposant d'une réelle épaisseur dramatique, des enjeux consistants, une ambiance malsaine qui ne se nourrit pas simplement de gore ou d'images chocs. Les éléments horrifiques utilisés ne présentent pas de grande originalité, mais leur intégration à l'histoire des protagonistes, ainsi que l'atmosphère développée par les images rendent le récit très personnel, émotionnellement chargé, sans que les auteurs ne se cantonnent aux traumatismes occasionnés par l'apparition de gros monstres baveux. En filigrane, il apparaît que ce récit évoque autant la difficulté pour l'individu d'accepter ses propres travers, ses défauts, ses péchés, que la difficulté de supporter la découverte des secrets honteux ou plus simplement des manies des adultes. En prime, le lecteur a le plaisir de constater que la scénariste et la dessinatrice s'adressent à lui comme à un adulte, sans s'appuyer pour autant sur une complexification de la narration pour paraître plus sophistiqué.
Commenter  J’apprécie          20



Ont apprécié cette critique (2)voir plus




{* *}