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Critique de Sarindar


Avec une plume trempée à la meilleure encre, Jean Lacouture continue de nous brosser le portrait de Charles de Gaulle et du visage politique qu'il voulut se tailler : son passage à la tête du gouvernement de la Libération lui permet de rassembler provisoirement les familles politiques, y compris le Parti communiste. Mais l'on sait bien que, le moment où il fallait lancer le grand chantier de la reconstruction passé, chacun allait avoir, pour exister, sa manière de dire comment on pouvait redresser le pays.
De Gaulle sut mettre un terme à cette expérience assez unique dans l'Histoire de France.
Mais, ayant repris sa liberté de parole, il permit la création, autour de sa personne d'un Rassemblement du Peuple Français qu'il ne voulait pas présenter comme un parti politique mais comme un milieu où devaient se retrouver les femmes et les hommes qui adhéraient à sa vision de la grandeur de la France, car il avait indiqué depuis son discours de Bayeux, en 1944, qu'il ne voyait qu'une chose à faire : renforcer le pouvoir exécutif et le remettre entre les mains d'une personne capable d'assumer et d'accomplir au mieux les destinées de la France, et, bien sûr, il allait de soi que ce portrait collait tout à fait à lui-même, du moins en était-il intimement convaincu et espérait-il que les Français l'étaient eux aussi.
Mais il se trompait justement sur un point : celui de l'attente de son retour prochain par une majorité de concitoyens ; la guerre était passée, la politique avait repris ses droits, les partis politiques formaient des coalitions plus ou moins bien construites, dans une IVème République qui reste connue pour le retour de pratiques qui avaient cours avant la Deuxième Guerre mondiale et qui entraînaient de véritables "valses ministérielles" et des ententes improbables de figures issues de la gauche et de la droite, à l'exception des Communistes, vite écartés du pouvoir, y compris par les ténors de la S.F.I.O. (ancêtre du Parti Socialiste), si bien que des gens de tous bords arrivaient à se retrouver dans des Cabinets ministériels constitués en partie pour empêcher le retour de De Gaulle, présenté au mieux comme un conservateur dépassé et au pire comme un futur autocrate et un danger pour la démocratie, ce que renforçait le fait qu'il était issu des rangs de l'armée, image qu'atténuait à peine, chez certains, le fait qu'il avait pris sur ses épaules la charge de la continuité de l'État contre Pétain et l'envahisseur allemand pendant le conflit (la mémoire des choses se perdrait-elle vite en politique ?) Cette entente sur le dos du général fut visible durant les périodes électorales, surtout quand fut concocté la loi sur les apparentements qui permettait de tout prévoir et de tout organiser en continuant de mettre De Gaulle sur la touche et en le forçant à ronger son frein.
Bientôt, le général ne vit plus d'utilité à maintenir en vie son mouvement, le RPF, et résolut d'attendre son heure, sans trop y croire, car il se disait que tout le monde continuerait de s'entendre contre lui.
Les difficultés liées à la décolonisation des pays où les Français exerçaient une influence ou un pouvoir en Asie et plus encore en Afrique du Nord, et particulièrement en Algérie - les questions indochinoises et marocaines ayant été traitées - furent l'occasion qui permit à De Gaulle de se rapprocher des marches du pouvoir. Il fut appelé par René Coty, Président de la République, à former un gouvernement. Mais cela coïncida avec une montée de tension dans l'Algérie française, qui semblait, en partie, ne plus voir d'espoir qu'en De Gaulle pour se survivre, et l'on soupçonna le général d'avoir partie liée avec une frange activiste de l'armée pour prendre, plus ou moins, le pouvoir par la force. Soutenait-il réellement cette "manière forte" ? Jean Lacouture pèse le pour et le contre, et montre qu'en son for intérieur, s'il était prêt à faire flèche de tout bois, il n'entendait toutefois pas sortir d'un cadre légal. De sorte que l'on comprend mieux son indignation quant aux suppositions faites qu'il pourrait commencer à un âge vénérable une "carrière de dictateur".
Si Guy Mollet, de la SFIO, soutint, en partie, ses premiers pas, il n'en fut pas de même de François Mitterrand et de Pierre Mendès France, chacun pour des raisons qui leur étaient propres.
De Gaulle revint donc au pouvoir dans des circonstances exceptionnelles et profita des "troubles de l'époque" pour le faire. Parvenu au faîte, il allait rompre avec ce qui permettait de le tenir pour un comploteur et incarner dignement la "grandeur" de la France.

Jean Lacouture est très nuancé, il est loin de tout approuver, ne serait-ce qu'en raison de ses positionnements personnels, mais il défend Charles de Gaulle contre toute forme de caricature.
Et c'est du très beau travail.

François Sarindar
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