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Critique de Tanvyeboyo


Etienne ‘Léo' MICHELI, né en 1923, est un homme exceptionnel au parcours admirable. Il est discret, sincère et crédible dans ses réponses dans ce livre d'entretiens.
Mais pour moi, le plus intéressant dans ce texte n'est pas forcément sa vie jusqu'ici, mais sa juxtaposition avec le vécu de sa région d'origine, la Corse moderne, depuis 1940 jusqu'à nos jours.
J'ai choisi ce livre car il embrasse un lieu et une période uniques dans l'imaginaire français contemporain. Depuis l'arrivée au pouvoir de Mussolini en 1922, à sa chute en juillet 1943, l'Italie fasciste n'a eu cesse de réclamer la Corse (Corsica), et la région de Nice (Nizza) comme terres italiennes. Cette menace a mobilisé Léo dans sa précoce adhésion au Parti communiste français (le Parti) et l'a conduit, à 20 ans, à prendre une place importante dans l'organisation de la libération autonome de la Corse en septembre 1943.
L'état français a, depuis toujours, voulu minimiser les efforts et sacrifices du Front de Libération Nationale en Corse et on lit dans Wikipédia :
« Les opérations ont été faites par une partie de l'Armée française de la Libération, avec l'assistance des Maquis corses et la complicité des Forces armées italiennes d'occupation…
La résistance intérieure joua aussi un rôle non négligeable, avec des figures comme François Vittori, chef d'État-Major des FTP de Corse »
Le Général de Gaulle était opposé à l'insurrection de 1943 et au débarquement des forces Giraudistes de son rival et ‘homme des Américains'. Il a, toutefois, reconnu l'importance de l'action locale et cela, 9 mois avant le débarquement en Normandie.
La version de Léo met en exergue la dimension locale et la place importante du Parti dans son animation.
Cette vision corse du processus de défense de la République française, contre les collaborateurs de Vichy et contre les visées des fascistes italiens, apporte des leçons pour la France et pour d'autres Etats-nation du pourtour méditerranéen. Mais quelles sont ces leçons et qu'est-il arrivé pour que la Corse passe de première région libérée en France, qui plus est par des français, à la situation d'aujourd'hui où plus de 60% de Corses votent pour des séparatistes. Comme Léo a fini par prendre ses distances avec le Parti, la Corse prend ses distances envers le continent.
Déjà en Corse, Léo et le Parti ont du faire le constat que l'île restait dominée par les clans et non pas par les capitalistes épouvantails de l'idéologie de l'ère stalinienne. La République a été remise en selle dans les institutions avec des Préfets ‘comme il faut', mais, par la suite, avec notamment la tragédie de l'assassinat du Préfet Erignac en 1998, elle a échoué à gagner les coeurs d'un peuple qui a tout risqué pour elle. Beaucoup en Corse ne reconnaissent plus une République où nombreux sur le continent donnent leur voix aux héritiers de Pétain.
La société civile est partout complexe et si les ‘masses corses' n'existent pas vraiment dans le sens du Parti d'antan, le peuple corse, lui, existe. Mais ce peuple a fourni aussi son lot d'indicateurs au service de l'ennemi dans l'île occupée de 1940 à 1943. Rien n'est simple.
Puis de Gaulle et les régimes suivants de la période de la Guerre froide ont marginalisé le Parti, avec en Corse plus de succès qu'ailleurs où il a pris racine dans la culture populaire. Certes, la vieille ficelle du Front national ou populaire n'a pas fait long feu. le Parti, armé de mitraillettes, voulait le pouvoir sur le terrain. Il ne l'a pas eu. Puis Léo est passé par les casernes d'Alger, à la libération du sud et de l'est de la France avant de rejoindre le grand apparatchik Jacques Duclos au siège du PCF. Il a fallu le processus de ‘déstalinisation' du Camarade Khrouchtchev pour lui ouvrir les yeux sur la réalité du ‘paradis des travailleurs' de l'URSS. Il a quitté l'appareil du Parti pour se reconvertir dans le monde de l'édition. Les entretiens ne nous disent rien sur ce long épisode de sa vie professionnelle. On ne sait même pas s'il a fondé une famille.
Il reste trop discret sur la tournure plus récente de l'histoire de la Corse, pas un mot sur l'occupation d'Aléria en 1975. Pourtant, le livre se termine sur un texte de témoignage de Léo au procès de jeunes nationalistes de 1979. Il y parle clairement du ‘peuple corse' et se demande ‘Quelle est cette force sociale nullement mystérieuse qui fait opposition au peuple corse, voilà bien la question'. Etrange formulation et point de réponse à cette question, celle qui, au fond, m'avait amené à ce livre. Pourtant, il évoque aussi Pascal PAOLI (né en 1725-, mort à Londres 1807, U babbu di a Nazione corsa), certainement le plus grand corse de l'histoire moderne.
Paoli, républicain et démocrate avant 1789, a vécu à une époque où l'Italie n'existait pas encore, mais ce grand pays, si proche de l'île, a figuré fortement dans la jeunesse de notre Léo. Paoli avait instauré une République corse, Léo a tout risqué pour une III République française qui s'était livrée à l'ennemi.
Enfin, force est-il d'admirer un homme de convictions qui a su se retirer d'une vie politique, quand nombreux s'y accrochent, et qui témoigne ici, avec discrétion et modestie.
Longue vie à Léo ‘en homme libre'.
Merci à Babélio et aux Editions ALBIANA d'Ajaccio, www.albiana.fr
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