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Critique de Presence


Ce tome fait suite à Tony Chu, détective cannibale, tome 11 : La Grande bouffe (épisodes 51 à 55, crossover Chew/Revival) qu'il faut avoir lu avant. Dans la mesure où il s'agit d'une histoire complète, il faut en avoir commencé la lecture par le premier tome. Celui-ci contient les épisodes 56 à 60, ainsi que le numéro spécial Demon Chicken Poyo, initialement parus en 2016, écrits par John Layman, dessinés, encrés et mis en couleurs par Rob Guillory, avec un lettrage de John Layman. Ce tome est le dernier de la série et il conclut l'histoire de manière définitive.

Dernier tome : tout est bien qui finit bien et ils eurent beaucoup d'enfants. Oups ! Pas tout à fait. Tony Chu se retrouve à nouveau à devoir consommer de la chair fraîche d'un de ses proches. Il n'en a aucune envie, mais il sait aussi que cet acte cannibale lui permettra d'acquérir des informations capitales pour comprendre la situation, et pour peut-être apprendre la source de l'épidémie de grippe aviaire. La première bouchée l'informe que l'individu dont il est en train de manger un petit bout a consommé des betteraves en grande quantité avant de mourir, ce qui a pour effet de bloquer le transfert d'informations tant attendu. En plus la vie continue, et le boulot aussi. Il doit faire équipe avec John Colby pour un nouveau cas de pouvoir lié à la nourriture, un individu capable de préparer un plat qui occasionne un gel immédiat des fonctions cérébrales.

Tony Chu se retrouve contraint de faire ce qu'il se refusait à faire : consommer plus du cadavre de celui qui savait, et, peut-être pire encore, demander l'aide de son frère Chow Chu. Il n'est pas au bout de ses peines, puisqu'il doit encore retourner à Yamapalu. Toujours plus cruel, il doit interrompre une journée en amoureux avec Amelia Mintz pour retrouver le van volé de Rosemary Chu, alors même que cette mission n'a pas de sens au vu de la fin du monde prévue pour le lendemain.

Pas de surprises : John Layman continue sa narration sur la même structure. Alors même qu'il s'agit du dernier tome et que le lecteur attend des révélations quant à l'écriture dans le ciel et à l'épidémie de grippe aviaire (au moins autant que Tony Chu), les 3 premiers épisodes sont construits sur la base d'une enquête avec un pouvoir inédit lié à la nourriture : un cereduratus, un cibopassim, des vireholitorians. C'est cohérent avec tout le reste de la série puisque ces pouvoirs extraordinaires ont été présents dès le départ, dès la première rencontre avec Tony Chu. D'ailleurs les auteurs effectuent une référence à cette première fois, puisque Tony Chu assimile des souvenirs sous la forme d'une grille de petites cases en arrière-plan, comme dans le premier épisode de la série. En fonction de son état d'esprit, le lecteur peut apprécier que le scénariste reste fidèle aux caractéristiques narratives établies depuis le début, ou s'agacer qu'il ne se cantonne pas à faire aboutir son intrigue. Dans ce dernier cas il y voit alors la cohérence et la consistance du caractère de Tony qui reste un policier avant tout, un professionnel avec des valeurs profondément ancrées en lui.

Comme dans les tomes précédents, les auteurs fusionnent de manière indissoluble l'humour et la tragédie, sans que l'un ne prenne le pas sur l'autre, sans qu'ils ne se neutralisent de par leur nature opposée. Les effets comiques sont avant tout portés par les dessins de Rob Guillory. le lecteur prend un grand plaisir à retrouver les auréoles au niveau des aisselles de Mike Applebee. Mais comment des auteurs ont-ils pu réussir à inscrire dans l'esprit du lecteur, un fétichisme lié au fonctionnement anormal de glandes sudoripares d'un individu en surpoids ? Quelle étrange perversion. le lecteur se surprend également à guetter les tags sur les murs, tous plus drôles que ceux que l'on peut voir dans la réalité. Impossible de rester de marbre devant celui qui proclame qu'ils construiront un mur autour des poulets, évoquant l'une des promesses électorales les plus navrantes et les plus hallucinantes du candidat Trump. le lecteur détaille également avec minutie les 4 pages de souvenirs de Tony Chu dans le dernier épisode, en souriant franchement quand il voit Mike Appelbee en train de faire manger de force un pied avec sa cheville à Tony Chu. le cannibalisme non consenti n'a jamais été aussi drôle. C'est à nouveau un tour de force des auteurs que de transformer des transgressions en une source d'humour dévastateur, sans rester au niveau des pâquerettes. le lecteur en vient à regretter que ne figure pas dans ces souvenirs, la fois où Amelia Mintz a vomi sur Tony.

Dans les remerciements, John Layman affirme que la série Chew n'aurait jamais été aussi réussie si elle n'avait pas été dessinée par Rob Guillory. Ces derniers épisodes ne dérogent pas à la règle. L'artiste a toujours son coup de crayon basé sur des traits vivaces, et des formes exagérées, avec un degré de simplification pour en accentuer l'expressivité. Les émotions qui se lisent sur les visages sont souvent appuyées pour mieux faire passer l'intensité des états d'esprit, l'exaspération des personnages, leur entrain d'enfants, ou leur entrain factice dicté par les circonstances, leur dégout (à chaque fois que Tony doit manger quelque chose d'encore plus immonde), leur tristesse. Certes le jeu d'acteur peut parfois être dramatisé, encore augmenté par un cadrage avec un angle de vue pour insister encore. D'un autre côté, Rob Guillory doit inclure une énorme quantité d'informations visuelles sur chaque page, et passer parfois 3 endroits en revue sur la même page. Or il n'y a jamais de hiatus, ou de solution de continuité dans la narration visuelle. Tous les endroits, tous les personnages (même celui en forme de centaure, ou les grenouilles psychédéliques) appartiennent manifestement au même monde, de manière naturelle, même les éléments les plus délirants comme l'écriture dans le ciel.

Toujours sur le plan visuel, le lecteur se rend compte que les auteurs ont su développer leurs leitmotivs qui n'appartiennent qu'à la série. Il y a donc les fameuses auréoles de sueur, mais aussi cette vue de dessus d'un lit dans lequel se trouvent des amants. Pour l'épisode 58, ils utilisent à nouveau ce cadrage avec un couple différent, pour un effet qui bouleverse le lecteur. Alors que ce leitmotiv était surtout utilisé pour un effet comique, jouant sur la surprise de l'identité des amants, ou sur l'état d'esprit de l'un d'entre eux, ici il est utilisé pour un effet dramatique, rendu encore plus poignant par le décalage avec l'utilisation habituelle. La capacité du dessinateur à se lâcher pour des parodies hautes en couleurs resplendit de mille feux dans l'épisode consacré à Poyo, mais aussi avec des cas délirants résolus (en 1 case) par Genevieve Cardante & Olive Chu, et le retour de Peter Pilaf. Guillory s'en donne à coeur joie dans l'exagération comique et dans les couleurs vives et gaies, du fait de la propension de Cardante à utiliser des produits psychotropes (comportement qui est expliqué de manière satisfaisante dans ce tome).

Ce dernier tome est donc un festival graphique offert par Rob Guillory qui a affiné ses talents jusqu'à une maîtrise donnant l'impression d'évidences à chaque page, alors même qu'il amalgame dans une même planche des éléments qui ne devraient pas pouvoir coexister. de son côté, le scénariste a également fort à faire pour pouvoir tenir toutes ses promesses. Il invente donc 3 nouveaux pouvoirs, comme s'il puisait dans une réserve sans fond. Il apporte une résolution en bonne et due forme à son récit, avec plusieurs coups de théâtre qui instaurent une tension narrative permanente, sans pour autant que le récit parte dans tous les sens. Les explications des 2 principaux mystères sont cohérentes avec le reste du récit, y compris les différents genres littéraires présents depuis le début (policier, SF, humour). le lecteur fait la connaissance de David Hamantaschen, Emily Travalla, Sanford Cioppino, Fatanyeros qui sont à l'origine de l'épidémie, et prend connaissance de leur motivation. le lecteur éprouve une sensation de clôture de l'intrigue totalement satisfaisante.

Au bout de 11 tomes, le lecteur s'est attaché à de nombreux personnages, car il émane d'eux une forte empathie, à des degrés divers en fonction du protagoniste. Même Genevieve Cardante (pourtant apparu juste au tome précédent) a déjà trouvé sa place dans le coeur du lecteur avec sa joie de vivre et son insouciance, à la limite de l'irresponsabilité. En fonction de ses attentes, le lecteur apprécie de revoir tel ou tel personnage, et trouve que c'est la moindre des choses que Poyo bénéficie de son propre épisode pour rendre hommage à sa stature et à son importance. Il est vraisemblable qu'il regrette que tel ou tel personnage secondaire ne puisse pas faire une dernière apparition, en particulier l'absence de l'inénarrable Lin Sae Woo (voir le tome 2 Tony Chu détective cannibale, Tome 2 : Un goût de Paradis) est impardonnable. Évidemment tous les personnages principaux disposent d'un nombre de scènes suffisantes pour pouvoir exister et pour que le lecteur sache ce qu'il advient d'eux, pour pouvoir les quitter dignement (mais il est prêt à lire des numéros spéciaux supplémentaires tellement les connaître et les côtoyer a été une source de plaisir). Il suffit à l'auteur d'une phrase pour faire ressortir le caractère d'un personnage, comme quand Amelia Mintz indique à Tony qu'il aurait pu lui demander son avis. John Layman boucle donc son intrigue avec panache en continuant de faire vivre des personnages sympathiques, avec leurs bons côtés et leurs défauts, tout en jouant sur des transgressions sociales et morales énormes.

Ce dernier tome conclut l'histoire de manière pleinement satisfaisante, tant du point de vue de l'intrigue que des personnages, avec des pages d'une rare vitalité mêlant harmonieusement comique et tragédie. 5 étoiles pour une fin parfaite à une série exceptionnelle.

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- Demon Chicken Poyo - Un prêtre doit intervenir auprès d'une jeune fille pour pratiquer un exorcisme. le démon qui habite la petite Lily-Marie Taters vomit de la bile verte sur le pauvre prêtre. Ce dernier propose de lui lire une histoire pour le calmer. Malgré les ricanements du démon, il sort un numéro de Demon Poyo ce qui attire tout de suite l'attention du démon qui accepte d'écouter l'histoire.

En route pour l'absurde, la dérision, la parodie, la franche rigolade et le respect pour Poyo, ce personnage si improbable (un coq avec des implants cybernétiques) et si imposant. John Layman et Rob Guillory rendent hommage au film l'Exorciste, mais aussi au Père Noël, au Grinch, à Elvis Presley, George Washington, Cthulluh, Dick Cheney, et bien d'autres. Ils tournent en dérision la qualité de la musique de Jewel. Ils inventent des personnages composites des plus improbables pour rendre hommage aux comics, par exemple Galactus + Eternity + un phoque réunis en une même entité. Cet épisode est un festival de délires articulés sur une intrigue basique mais solide, avec des visuels à s'en faire péter les rétines, et un Poyo impérial comme il se doit. Une coda parfaite pour une aventure à sa gloire !
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