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Critique de thedoc


Jean Marie-Gustave le Clézio revient cette fois-ci avec deux nouvelles, deux novellas comme il l'explique (« une longue nouvelle qui unit les lieux, l'action et le ton).

La première nous emmène dans la mer du Japon, sur l'île d'Udo. Un journaliste, Philip Kyo, revient sur cette île pour affronter son passé. Trente ans auparavant, il y est venu avec la femme qu'il aimait, Mary, une chanteuse de jazz. Un après-midi, Mary est partie nager malgré la tempête et n'est jamais revenue. Philip Kyo, qui avait trouvé en Mary une raison d'espérer et de continuer (je ne dévoilerai pas les événements passés qui hantent le journaliste), se retrouve de nouveau abandonné à lui-même. Trente ans plus tard, de retour sur l'île, il pense une bonne fois pour toute affronter ses démons et peut-être y terminer sa vie. C'est sans compter sa rencontre avec June, une jeune adolescente de 13 ans, arrivée sur l'île avec sa mère alors qu'elle n'était encore qu'un bébé. June, sans père, est métisse. Plus grande que les autres filles de son âge, avec des cheveux qui n'arrêtent pas de friser, elle sent sa différence et trouve un réconfort auprès des pêcheuses d'ormeaux. Les pêcheuses d'ormeaux, ce sont ces femmes qui plongent tous les jours dans l'océan à la recherche de coquillages. Vêtues de leur combinaison et de leur ceinture de plombs, elles plongent et replongent sans arrêt, côtoyant les dauphins et reprenant leur respiration en criant. June rêve elle aussi de devenir une pêcheuse d'ormeaux, au grand dam de sa mère qui souhaite un meilleur avenir pour sa fille. La jeune fille ne sent plus la complicité qui l'unissait autrefois à sa mère depuis que celle-ci a un petit ami. Elle va trouver en Monsieur Kyo un ami, un confident, le père tant de fois rêvé. Alors que Monsieur Kyo, solitaire et taciturne, refuse au début cette amitié particulière, il se laisse charmer par la candeur et la joie de vivre de la jeune fille qui lui rappelle parfois Mary.

La deuxième nouvelle, « Une femme sans identité », nous mène de Takoradi, ville africaine, à la métropole. Rachel est une petite fille mal aimée. A huit ans, alors que ses parents se disputent, elle apprend qu'elle n'a pas de mère et qu'elle est née d'un viol. Madame Badou, celle qui jusque-là jouait le rôle de mère, la déteste et lui fait bien comprendre. Monsieur Badou quant à lui, son père, préfère l'ignorer. Il reste Bibi, sa jeune soeur, avec qui certainement elle entretient un lien qui ressemble le plus à un lien familial. Mais Rachel est pleine de révolte et de colère. Pour elle, rien ne sera plus comme avant. Un jour, les Badou doivent quitter l'Afrique et regagner la métropole. Là, une nouvelle vie commence pour Rachel qui découvre toute la brutalité de l'exil, le béton qui fait place au sable chaud. Perdue dans la banlieue, perdue dans cette famille qui n'est pas la sienne et qui se décompose, elle erre, sans identité, sans accroche, toujours en proie à la colère.

Le Clézio nous dresse ici le portrait de deux femmes à la recherche de leurs origines. L'une sans père, l'autre sans mère, June et Rachel (très différentes l'une de l'autre) sont en quête d'un passé et d'une identité. D'où viennent ces cheveux crépus, d'où vient cette chevelure épaisse et noire ? Il n'y a plus que ces éléments physiques qui leur donnent un point de départ tout en soulevant des questions. Dépossédées de leur venue au monde, elles tentent de se trouver une voie, un point où aller. June voit en la mer le don de tout laver. Un monde silencieux et pur pour effacer le passé et tout recommencer. Une fois la tempête passée, elle peut quitter l'île pour commencer une autre histoire. Alors que June quitte la terre où elle a grandi, Rachel retourne sur le continent où elle est née, dans le seul endroit où elle s'est sentie heureuse dans sa vie, pour débuter une nouvelle histoire. Voici deux destins brisés, deux femmes qui tentent de se reconstruire comme Le Clézio aime nous les raconter.

J'ai retrouvé avec beaucoup de plaisir cet écrivain que je n'avais pas lu depuis un moment. Sa « marque » est toujours la même : il fait de la poésie avec le quotidien, il nous décrit la brutalité de l'exil, il nous parle de ces adolescentes qui deviennent des femmes en portant en elles de lourds traumas. Jamais de tableau idyllique chez Le Clézio mais toujours un combat, un cheminement pour trouver, si ce n'est la paix, la sérénité. Tout est là, rien à redire. C'est parfait.
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