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Critique de Kirzy



Quand tu te rends à une table étoilée pour la troisième fois, tu peux être tentée de chicaner, soupeser, couper les cheveux en quatre, bref comparer avec ce qu'on t'a servi la dernière fois. Ben là, même pas envie tellement la table est bonne chez Lemaitre ! Juste du plaisir à boulotter son histoire. C'est le genre de bouquin que t'emportes partout avec toi pour ne pas quitter les personnages, aux toilettes ( si si ), dans le métro ( même quand t'es grave collée contre la vitre dans un RER A bondé en pleine grève ) yes, tu dégaines, à chaque minute profitable.

Pierre Lemaitre aime tellement ses personnages, qu'à la Balzac, il va piocher dans Au revoir là-haut le personnage secondaire de Louise Belmont, la fillette de dix ans qui s'était entichée d'Edouard Péricourt, la gueule cassée qui logeait chez sa mère impasse Pers dans le 18ème. Dans l'épilogue de ce premier opus, il était dit qu'elle n'eut pas de destin remarquable jusqu'à ce qu'on la retrouve en 1940. Elle a désormais 30 ans, institutrice et serveuse dans un troquet, et se voit offrir sur un plateau une scène d'ouverture absolument spectaculaire, qui fixe dans l'imagination du lecteur une empreinte puissante.

Gabriel, le prof de mathématiques un peu falot devenu sergent-chef; son comparse caporal Raoul, l'attachant combinard sans scrupule ; la courageuse Louise qui court derrière ses secrets de famille ; Jules, le patron au coeur énorme de Louise, et surtout l'irrésistible Désiré, usurpateur génial au charisme fou qui revêt multiples identités au cours de l'épopée … tous formidablement campés, tous en mouvement dans cette France du printemps 1940 qui passe en quelques jours de la Drôle de guerre à la panique de la débâcle face à l'armée allemande.

Tout le talent de conteur de Lemaitre s'exprime dans son art de tresser plusieurs arcs narratifs avec une vivacité remarquable, dans un rythme bondissant qui nous transporte de la ligne Maginot aux routes de l'Exode. Il sait injecter de la densité émotionnelle au bon moment tout en créant du suspense qui pousse à lire. C'est vraiment un des rares auteurs français qui maitrise à ce point ce sens du romanesque échevelé avec ces morceaux de bravoure comme la sabotage du pont de Tréguière.

Sa façon de brosser un tableau de cette période historique est également réjouissante. Il s'empare d'événements réels complètement incongrus ou méconnus ( l'exode pénitentiaire de la prison parisienne du Cherche-Midi vers le camp de Gurs ou encore la destruction de billets d'une valeur de milliards de francs par la banque de France pour éviter que les Allemands ne s'en emparent ) et il s'amuse à en inventer des nouveaux complètement véridiques comme justement le sabotage du pont de Tréguière ou la vie dans le fort du Mayenberg. L'illusion est parfaite ! Sa description de l'Exode et ses Français qui fuient sur les routes l'avancée allemande est très réussie, on a l'impression, d'être avec eux.

Et puis, comme toujours, on rit ! Peut-être un peu plus que dans les précédents tomes, dès que le personnage de Désiré apparaît. Mais on rit intelligemment car derrière la farce, pointe une réflexion sur la désinformation mise en oeuvre par le ministère de l'Information dans cette période d'hystérie et de panique tout schuss. C'est lors d'un cataclysme que l'on sait ce qu'on est, ce qu'on vaut, que l'ont doit être le meilleur et montrer à la hauteur des qualités humaines qu'on prétend avoir. Et là, la façon dont réagissent les personnages principaux ne laissent aucun doute au final et on ne les aime qu'encore plus.

Je me suis régalée et sans doute, le plaisir aurait été total avec la présence d'un truculent « méchant » pour contrecarrer le destin de nos personnages. Ce destin, on devine assez vite ( un peu trop ) vers dans quelle direction il va aller, il y a peut-être moins de rebondissements sur le final comme dans ses autres romans.

Une fresque réjouissante, savoureuse qui peut se lire indépendamment d'Au revoir là-haut et Couleurs de l'incendie mais ce serait vraiment dommage de ne lire que celui-là … Pierre Lemaitre est sans conteste un de nos plus grands écrivains !
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