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Critique de capucine5896


Je viens de sortir de l'hôpital. Gemma m'attendait toute souriante et portait sa plus belle robe de fête. Ses yeux lançaient des flammes.

Lorsque je respirais, toujours avec difficulté, je me disais: « Tu as eu une sacrée veine, tu es toujours vivant et la Fenice, elle, fouchtra, est partie en fumées! »

J'ai levé les yeux au ciel. J'ai remercié les dieux d'être toujours in gamba, c'est-à-dire ou à peu près dire que je suis en forme!

Je me revois devant le Grand Canal recevant l'offrande du soleil et celle de la Beauté. Gemma resplendissait, accrochée à mon bras valide, L'autre bras fut brûlé au second degré et me fait toujours souffrir. Je tais ma souffrance comme je tais les atroces visions du feu qui m'obsèdent sans cesse. Gemma me lance des oeillades.

- Lucifer, tu peux voguer aux enfers, attiser tes feux, goujat de « porteur de lumière »!
- Comment dis-tu, Claudio?
- Lucifer et toute sa clique d'apôtres humains, je divague, je divague, petite bout...
- Qu'as-tu? Je te trouve lointain, si lointain, comme battu par les feux de la mémoire! Certes, tu as tant souffert, chéri bibi!
- Je cause souvent seul, je soliloque, pardi, j'invective les dieux de cette foutue planète! Rien ne va, rien n'est juste!
- Tu n'y pourras rien changer! Ton théâtre s'envola en fumées! Est-ce ta faute?
- le feu, le feu partout et cette étrange odeur, le feu que j'aimais tant gosse, lorsque mon cher père allumait les bougies pour Noël! Ma main que je passais et repassais, au risque de me brûler sérieusement, au-dessus des bougies rouges...
- Ah, tu adorais le feu?
- Oui, mais ici, cette vision infernale, cette apocalypse, comment pouvoir oublier, diable, comment?
- Tu oublieras tout cela dans mes bras et dans les plis de la Sérénissime beauté de mon corps, petit minou chéri!
- Minou chéri a grand besoin de dormir et de dormir de longues heures, de planer gaîment, en lévitation, au-delà de la barre des nuages, dans un ciel-océan clair et d'eau...

Je m'étais arrêté à San-Marco. Mes yeux ne quittaient pas l'autre bout de la place, là où se niche le musée de la cité et où j'aimais voir les navires prendre feu sous les coups de canon de la flotte... Las, il faisait étouffant. La tristesse creusait, en dedans de moi, des fleuves de dégoût.

Dormir, j'eusse voulu simplement tenir le grand sommeil par le drap blanc des jours infinis.
Où avais-je donc la tête pour avoir, en pleine nuit, ose me précipiter sans malepeur, dans la fournaise, à l'intérieur de mon très cher opéra? Celui qui fut une partie de ma vie? Je n'avais pas pu être chanteur et j'étais devenu un honorable acteur de la comédie transalpine. Acteur, oui, car loupiot je possédais - disait-on - le feu sacré. J'avais même participé à Senso, un film dụ prince Visconti. L'âge venant, je fus nommé régisseur adjoint du théâtre de la Fenice. Je ne fus pas nommé au poste envié de régisseur parce que ma tête ne plaisait pas au directeur et que j'avais - un court moment - courtisé la jeune actrice sur laquelle il avait « des visées ». Dans le feu de l'action - et même dans le brasier de ma petite vie de théâtreux - j'avais oublié la consigne de mon géniteur: «Ne vise pas trop haut, ne brûle pas les planches sur lesquelles le colonel lustre ses sardines! » J'ai ainsi perdu la confiance du colon.

Je logeais non loin du théâtre. le feu avait pris si rapidement de l'ampleur que la fenêtre de ma chambre s'embrasait presque! Je découvris, le nez contre la vitre, l'Apocalypse!

Une aussi belle clarté, dirait le poète, mais une clarté qui aussitôt devient ignoble et ronge et brûle.

Ma Fenice s'embrasait de haut en bas. La chaleur devint suffocante. Des milliers de flammèches léchaient déjà le troisième étage et des centaines de petites explosions brisaient les arma tures et les festons de bois.

Hâtivement, je courus dans le vestibule et je pris le téléphone pour aussitôt appeler la centrale des pompiers. Quelle ne fut pas ma surprise d'entendre, au bout du fil, la risible et pénible réponse émise d'une voix de fausset par un foutriquet d'homme du feu: « Je saisis bien, je saisis bien, monsieur le régisseur, mais nous sommes déjà en piste! Il nous manque de l'eau, le rio longeant le théâtre est asséché; l'autre, à sinistre, est à moitié vide et, figurez-vous, il nous faut faire venir une auto-pompe à l'immense échelle, car les échelles de la ville sont trop petites et la Fenice est trop haute, pardi, nous ne pouvons atteindre le sommet, cher régisseur, tout crame! »

- Tout brûle, tout brûle mais l'eau du Grand Canal, où coule-t-elle donc? Elle ne crame pas, elle?
- On la pompe à hue et à dia mais la pression est trop basse, la distance trop haute, les tuyaux pas assez longs et la marée des secours arrive!
- Baste! fis-je, et je raccrochai au nez du préposé aux discours.

A moitié habillé, je me précipitai dans l'escalier et puis à toute allure vers la place à peine distante de cinq cents mètres comme si j'avais tous les feux de l'enfer aux trousses. J'atteignis mon gagne-pain en flammes.

- Vite, vite, au foyer, me dis-je, je parie un milliard de lires que Gemma, ma petite rose des sables, s'y trouve encerclée par les feux!

J'avais une fois de plus raison!

Je n'eus aucune peur. Pas une once d'hésitation, pas un fifrelin de doute, pas une sueur froide dans le dos: je fonçai! le seuil franchi, sous le regard du phénix de pierre, je traversai le foyer, mouchoir en bâillon, pour rencontrer mon amour de feu...

Une chaleur épouvantable et inconnue de moi, asphyxiante, me prit au corps. D'épouvantables craquements avec comme un vent venu d'Afrique m'accompagnaient, avec un sifflement d'enfer et de damnation! Non, ce n'était pas la bora, celle que je connais bien, c'était la « mort en ce jardin », la faux du diable et les horreurs des enfers!

Un cri retentit. Un long cri terrifiant. Je me précipitai vers une loge d'habillage au premier étage. Tout brûlait. Je me mis à ramper et faire des sauts à quatre pattes pour éviter d'être asphyxié, Gemma se tenait dans la loge, toute menue, toussant et crachant et serrant un mouchoir sur sa bouche et son joli nez.

La pièce enflammée, son cri, ses yeux hagards, pleurant, oui, toi, toi toute et que j'aime depuis si longtemps!

Et, sans hésiter, je la tirai du piège des flammes qui mordaient la loge!

- Giorgio mio, toi, c'est toi, attends, je vais chercher mon sac!

Je la tirai de toutes mes petites forces, je la pris dans mes bras lorsque j'entendis le cri plaintif, le cri de mort de la chienne Lara, la douce gardienne des lieux...

Je poussai ma belle au-dehors et je me précipitai à nouveau dans le brasier... Lara hurlait, Lara hurlait!

- Viens, viens, ici, ici je suis, viens Lara!

Un dernier jappement. Je m'évanouis, brûlé, choqué, asphyxié... Une boule de feu tomba dans le hall et un pompier eut juste le temps de me précipiter au-dehors.

Je sors aujourd'hui de l'hôpital. J'ai quelque difficulté à respirer, à me tenir debout et mon bras droit me fait parfois atrocement souffrir. C'est celui qui sauva ma beauté vénitienne!

La Fenice n'existe plus. Lucifer a battu les cartes du ciel. le maire de la ville a promis que la Fenice sera reconstruite sans l'ombre d'un délai. Promesse politique...

Lara est morte. Chaque nuit j'entends la chienne hurler ou aboyer sans arrêt...

Ma vie a pris feu. Je suis déjà mort. Brûlé en dedans.
Je viens de sortir de l'hôpital. Gemma m'attendait toute souriante et portait sa plus belle robe de fête. Ses yeux lançaient des flammes.

Lorsque je respirais, toujours avec difficulté, je me disais: « Tu as eu une sacrée veine, tu es toujours vivant et la Fenice, elle, fouchtra, est partie en fumées! »

J'ai levé les yeux au ciel. J'ai remercié les dieux d'être toujours in gamba, c'est-à-dire ou à peu près dire que je suis en forme!

Je me revois devant le Grand Canal recevant l'offrande du soleil et celle de la Beauté. Gemma resplendissait, accrochée à mon bras valide, L'autre bras fut brûlé au second degré et me fait toujours souffrir. Je tais ma souffrance comme je tais les atroces visions du feu qui m'obsèdent sans cesse. Gemma me lance des oeillades.

- Lucifer, tu peux voguer aux enfers, attiser tes feux, goujat de « porteur de lumière »!
- Comment dis-tu, Claudio?
- Lucifer et toute sa clique d'apôtres humains, je divague, je divague, petite bout...
- Qu'as-tu? Je te trouve lointain, si lointain, comme battu par les feux de la mémoire! Certes, tu as tant souffert, chéri bibi!
- Je cause souvent seul, je soliloque, pardi, j'invective les dieux de cette foutue planète! Rien ne va, rien n'est juste!
- Tu n'y pourras rien changer! Ton théâtre s'envola en fumées! Est-ce ta faute?
- le feu, le feu partout et cette étrange odeur, le feu que j'aimais tant gosse, lorsque mon cher père allumait les bougies pour Noël! Ma main que je passais et repassais, au risque de me brûler sérieusement, au-dessus des bougies rouges...
- Ah, tu adorais le feu?
- Oui, mais ici, cette vision infernale, cette apocalypse, comment pouvoir oublier, diable, comment?
- Tu oublieras tout cela dans mes bras et dans les plis de la Sérénissime beauté de mon corps, petit minou chéri!
- Minou chéri a grand besoin de dormir et de dormir de longues heures, de planer gaîment, en lévitation, au-delà de la barre des nuages, dans un ciel-océan clair et d'eau...

Je m'étais arrêté à San-Marco. Mes yeux ne quittaient pas l'autre bout de la place, là où se niche le musée de la cité et où j'aimais voir les navires prendre feu sous les coups de canon de la flotte... Las, il faisait étouffant. La tristesse creusait, en dedans de moi, des fleuves de dégoût.

Dormir, j'eusse voulu simplement tenir le grand sommeil par le drap blanc des jours infinis.
Où avais-je donc la tête pour avoir, en pleine nuit, ose me précipiter sans malepeur, dans la fournaise, à l'intérieur de mon très cher opéra? Celui qui fut une partie de ma vie? Je n'avais pas pu être chanteur et j'étais devenu un honorable acteur de la comédie transalpine. Acteur, oui, car loupiot je possédais - disait-on - le feu sacré. J'avais même participé à Senso, un film dụ prince Visconti. L'âge venant, je fus nommé régisseur adjoint du théâtre de la Fenice. Je ne fus pas nommé au poste envié de régisseur parce que ma tête ne plaisait pas au directeur et que j'avais - un court moment - courtisé la jeune actrice sur laquelle il avait « des visées ». Dans le feu de l'action - et même dans le brasier de ma petite vie de théâtreux - j'avais oublié la consigne de mon géniteur: «Ne vise pas trop haut, ne brûle pas les planches sur lesquelles le colonel lustre ses sardines! » J'ai ainsi perdu la confiance du colon.

Je logeais non loin du théâtre. le feu avait pris si rapidement de l'ampleur que la fenêtre de ma chambre s'embrasait presque! Je découvris, le nez contre la vitre, l'Apocalypse!

Une aussi belle clarté, dirait le poète, mais une clarté qui aussitôt devient ignoble et ronge et brûle.

Ma Fenice s'embrasait de haut en bas. La chaleur devint suffocante. Des milliers de flammèches léchaient déjà le troisième étage et des centaines de petites explosions brisaient les arma tures et les festons de bois.

Hâtivement, je courus dans le vestibule et je pris le téléphone pour aussitôt appeler la centrale des pompiers. Quelle ne fut pas ma surprise d'entendre, au bout du fil, la risible et pénible réponse émise d'une voix de fausset par un foutriquet d'homme du feu: « Je saisis bien, je saisis bien, monsieur le régisseur, mais nous sommes déjà en piste! Il nous manque de l'eau, le rio longeant le théâtre est asséché; l'autre, à sinistre, est à moitié vide et, figurez-vous, il nous faut faire venir une auto-pompe à l'immense échelle, car les échelles de la ville sont trop petites et la Fenice est trop haute, pardi, nous ne pouvons atteindre le sommet, cher régisseur, tout crame! »

- Tout brûle, tout brûle mais l'eau du Grand Canal, où coule-t-elle donc? Elle ne crame pas, elle?
- On la pompe à hue et à dia mais la pression est trop basse, la distance trop haute, les tuyaux pas assez longs et la marée des secours arrive!
- Baste! fis-je, et je raccrochai au nez du préposé aux discours.

A moitié habillé, je me précipitai dans l'escalier et puis à toute allure vers la place à peine distante de cinq cents mètres comme si j'avais tous les feux de l'enfer aux trousses. J'atteignis mon gagne-pain en flammes.

- Vite, vite, au foyer, me dis-je, je parie un milliard de lires que Gemma, ma petite rose des sables, s'y trouve encerclée par les feux!

J'avais une fois de plus raison!

Je n'eus aucune peur. Pas une once d'hésitation, pas un fifrelin de doute, pas une sueur froide dans le dos: je fonçai! le seuil franchi, sous le regard du phénix de pierre, je traversai le foyer, mouchoir en bâillon, pour rencontrer mon amour de feu...

Une chaleur épouvantable et inconnue de moi, asphyxiante, me prit au corps. D'épouvantables craquements avec comme un vent venu d'Afrique m'accompagnaient, avec un sifflement d'enfer et de damnation! Non, ce n'était pas la bora, celle que je connais bien, c'était la « mort en ce jardin », la faux du diable et les horreurs des enfers!

Un cri retentit. Un long cri terrifiant. Je me précipitai vers une loge d'habillage au premier étage. Tout brûlait. Je me mis à ramper et faire des sauts à quatre pattes pour éviter d'être asphyxié, Gemma se tenait dans la loge, toute menue, toussant et crachant et serrant un mouchoir sur sa bouche et son joli nez.

La pièce enflammée, son cri, ses yeux hagards, pleurant, oui, toi, toi toute et que j'aime depuis si longtemps!

Et, sans hésiter, je la tirai du piège des flammes qui mordaient la loge!

- Giorgio mio, toi, c'est toi, attends, je vais chercher mon sac!

Je la tirai de toutes mes petites forces, je la pris dans mes bras lorsque j'entendis le cri plaintif, le cri de mort de la chienne Lara, la douce gardienne des lieux...

Je poussai ma belle au-dehors et je me précipitai à nouveau dans le brasier... Lara hurlait, Lara hurlait!

- Viens, viens, ici, ici je suis, viens Lara!

Un dernier jappement. Je m'évanouis, brûlé, choqué, asphyxié... Une boule de feu tomba dans le hall et un pompier eut juste le temps de me précipiter au-dehors.

Je sors aujourd'hui de l'hôpital. J'ai quelque difficulté à respirer, à me tenir debout et mon bras droit me fait parfois atrocement souffrir. C'est celui qui sauva ma beauté vénitienne!

La Fenice n'existe plus. Lucifer a battu les cartes du ciel. le maire de la ville a promis que la Fenice sera reconstruite sans l'ombre d'un délai. Promesse politique...

Lara est morte. Chaque nuit j'entends la chienne hurler ou aboyer sans arrêt...

Ma vie a pris feu. Je suis déjà mort. Brûlé en dedans.
La Fenice n'existe plus. Lucifer a battu les cartes du ciel. le maire de la ville a promis que la Fenice sera reconstruite sans l'ombre d'un délai. Promesse politique...



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